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LA CORRIVEAU.

— Mon cher François, dit la sorcière, si tu refuses de m’y mener en chair et en os, je vais t’étrangler, — je monterai sur ton âme et je me rendrai au sabbat. Ce disant, elle le saisit à la gorge et l’étrangla.

— Comment, dirent les jeunes gens, elle étrangla votre pauvre défunt père ?

— Quand je dis étranglé, il n’en valait guère mieux, le cher homme, reprit José, car il perdit tout-à-fait connaissance.

Lorsqu’il revint à lui, il entendit un petit oiseau qui criait : qué-tu ?[1]

— Ah çà ! dit mon défunt père, je ne suis donc point en enfer puisque j’entends les oiseaux du bon Dieu ! Il risque un œil, puis un autre, et voit qu’il fait grand jour : le soleil lui reluisait sur le visage.

Le petit oiseau, perché sur une branche voisine, criait toujours : qué-tu ?

— Mon cher petit enfant, dit mon défunt père, il m’est malaisé de répondre à ta question, car je ne sais trop qui je suis ce matin : hier encore je me croyais un brave et honnête homme créant (craignant) Dieu ; mais j’ai eu tant de traverses cette nuit que je ne saurais assurer si c’est bien moi, François Dubé, qui suis ici présent en corps et en âme. Et puis il se mit à chanter, le cher homme :

Dansons à l’entour,
Toure-loure ;
Dansons à l’entour.

  1. L’auteur avoue son ignorance en ornithologie. Notre excellent ornithologiste, M. LeMoine, aura peut-être la complaisance de lui venir en aide en classant, comme il doit l’être, ce petit oiseau dont la voix imite les deux syllabes qué-tu. Ceci rappelle à l’auteur l’anecdote d’un vieillard non compos mentis qui errait dans les campagnes, il y a quelque soixante ans. Se croyant interpellé lorsqu’il entendait le chant de ces hôtes des bois, il ne manquait jamais de répondre très poliment d’abord : « Le père Chamberland, mes petits enfants », et perdant patience : « Le père Chamberland, mes petits b…s. »