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LES ANCIENS CANADIENS.

— Ah ! satanée bigre de chienne ! cria mon défunt père : — c’était le seul jurement dont il usait, le saint homme, et encore dans les grandes traverses.

— Diable ! dit Jules, il me semble que l’occasion était favorable ! quant à moi, j’aurais juré comme un payen.

— Et moi, repartit Arché, comme un Anglais.

— Je croyais avoir, pourtant, beaucoup dit, répliqua d’Haberville.

— Tu es dans l’erreur, mon cher Jules ! Il faut cependant avouer que messieurs les payens s’en acquittaient passablement, mais les Anglais ! les Anglais ! Le Roux qui, après sa sortie du collège, lisait tous les mauvais livres qui lui tombaient sous la main, nous disait, si tu t’en souviens, que ce polisson de Voltaire, comme mon oncle le Jésuite l’appelait, avait écrit dans un ouvrage qui traite d’événements arrivés en France sous le règne de Charles vii, lorsque ce prince en chassait ces insulaires maîtres de presque tout son royaume, Le Roux nous disait donc que Voltaire avait écrit que « tout anglais jure ». Eh bien, mon fils, ces événements se passaient vers l’année 1445 ; disons qu’il y ait trois cents ans depuis cette époque mémorable, et juge, toi-même, quels jurons formidables une nation d’humeur morose peut avoir inventés pendant l’espace de trois siècles !

— Je rends les armes, dit Jules ; mais continue, mon cher José.

— Satanée bigre de chienne, lui dit mon défunt père, est-ce pour me remercier de mon dépréfundi et de mes autres bonnes prières que tu veux me mener au sabbat ? Je pensais bien que tu en avais, au petit moins, pour trois ou quatre mille ans dans le purgatoire