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LA CORRIVEAU.

c’est la crème des sorciers. D’abord ils ne sont pas hypocrites.

— Bah ! fit Jules, je commence à craindre pour ton cerveau.

– Pas si fou que tu le penses, repartit Arché, et voici la preuve. Vois un hypocrite avec une personne qu’il veut tromper : il a toujours un œil humblement à demi fermé, tandis que l’autre observe l’effet que ses discours font sur son interlocuteur. S’il n’avait qu’un œil unique, il perdrait cet immense avantage, et serait obligé de renoncer au rôle d’hypocrite, qui lui est si profitable. Et voilà déjà un homme vicieux de moins. Mon sorcier de cyclope a probablement beaucoup d’autres vices ; mais il est toujours exempt d’hypocrisie ; de là le respect qu’a pour lui une classe d’êtres entachés de tous les vices que nous leur attribuons.

— À ta santé, philosophe écossais, dit Jules, en avalant un verre de vin ; je veux être pendu si je comprends un mot à ton raisonnement.

— C’est pourtant clair comme le jour, reprit Arché ; il faut alors que ces aliments savoureux, pesants, indigestes, dont tu te bourres l’estomac, t’appesantissent le cerveau. Si tu ne mangeais que de la farine d’avoine, comme nos montagnards, tu aurais les idées plus claires, la conception plus facile.

— Il paraît que l’avoine vous revient sur le cœur, l’ami, dit Jules : c’est pourtant facile à digérer, même sans le secours des épices.

— Autre exemple, dit Arché : un fripon qui veut duper un honnête homme, dans une transaction quelconque, a toujours un œil qui clignote ou à demi fermé, tandis que l’autre observe ce qu’il gagne ou