maintes recherches, il apprit que cette brochure était entre les mains des Dames Hospitalières de l’Hôpital-Général, qui eurent l’obligeance de la lui prêter, et partant de lui donner occasion de corriger quelques erreurs commises dans sa première version.
(j) L’auteur croit que de toutes les passions la vindication est la plus difficile à vaincre. Il a connu un homme, excellent d’ailleurs, souvent aux prises avec cette terrible passion. Il aurait voulu pardonner, mais-il lui fallait des efforts surhumains pour le faire. Il pardonnait et ne pardonnait pas : c’était une lutte continuelle, même après avoir prononcé pardon et amnistie ; car si quelqu’un proférait le nom de celui qui l’avait offensé, sa figure se bouleversait tout-à-coup, ses yeux lançaient des éclairs ; il faisait peine à voir dans ces combats contre sa nature vindicative.
(k) Historique. Ma tante, fille de M. de Saint-Luc, m’a souvent raconté l’entrevue de son père avec le général Murray.
(l) L’auteur, en rapportant les traditions de sa jeunesse, doit remarquer qu’il devait exister de grands préjugés contre le gouverneur Murray, et qu’il est probable que la calomnie ne l’a pas épargné. M. de Saint-Luc, dans son journal, en parle plutôt avec éloge qu’autrement, mais suivant la tradition, ces ménagements étaient dus à la conduite subséquente du gouverneur envers les Canadiens ; et surtout à la haute faveur dont, lui, M. de-Saint-Luc était l’objet de la part de Murray.
(m) M. de Saint-Luc, d’un commerce très-agréable, devint dans la suite un favori du général Haldimand, qui s’amusait beaucoup des reparties spirituelles, mais quelquefois assez peu respectueuses du vieillard, que l’auteur ne croit pas devoir consigner. Un jour qu’il dînait au château Saint-Louis, en nombreuse compagnie, il dit au général :
— Comme je sais que votre Excellence est un bon casuiste, j’oserai lui soumettre un cas de conscience qui ne laisse pas de me tourmenter un peu.
— Si c’est un cas de conscience, dit le Gouverneur, vous ferez mieux de vous adresser à mon voisin, le révérend Père de Bérey, supérieur des Récollets.
— Soit ! fit M. de Saint-Luc ; mais j’ose me flatter que votre Excellence sanctionnera le jugement du révérend Père.
— J’y consens, dit en riant le général Haldimand qui aimait beaucoup à mettre le Père de Bérey, homme bouillant d’esprit, aux prises avec les laïques : beaucoup de ces laïques, très-spirituels d’ailleurs, mais imbus des mêmes principes philosophiques du xviiie siècle que le Gouverneur lui-même, ne laissaient échapper aucune occasion de railler sans pitié le fils de Saint-François. Il faut dire du reste qu’aucun d’eux ne s’en retirait sans quelques bons coups de griffes du révérend Père, lequel ayant été aumônier d’un régiment, était habitué à cette sorte d’escrime, et emportait presque toujours le morceau, quelque fut le nombre des assaillants.