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LES ANCIENS CANADIENS.

pensant que si ça ne lui faisait pas de bien, ça ne lui ferait pas de mal ; et que lui, toujours, s’en trouverait mieux.

Si donc qu’il continua à filer grand train ; ce qui ne l’empêchait pas d’entendre derrière lui, tic, tac, tic, tac, comme si un morceau de fer eût frappé sur des cailloux. Il crut que c’était son bandage de roue ou quelques fers de son cabrouette qui étaient décloués. Il descend donc de voiture, mais tout était en règle. Il toucha sa guevalle pour réparer le temps perdu ; mais un petit bout de temps après, il entend encore tic, tac sur les cailloux ; comme il était brave, il n’y fit pas grande attention.

Arrivé sur les hauteurs de Saint-Michel, que nous avons passées tantôt, l’endormitoire le prit. Après tout, ce que se dit mon défunt père, un homme n’est pas un chien ! faisons un somme ; ma guevalle et moi nous nous en trouverons mieux. Si donc qu’il dételle sa guevalle, lui attache les deux pattes de devant avec ses cordeaux, et lui dit : tiens, mignonne, voilà de la bonne herbe, tu entends couler le ruisseau ; bon soir.

Comme mon défunt père allait se fourrer sous son cabrouette pour se mettre à l’abri de la rosée, il lui prit fantaisie de s’informer de l’heure. Il regarde donc les trois rois au sud, le chariot au nord, et il en conclut qu’il était minuit. C’est l’heure, qu’il se dit, que tout honnête homme doit être couché.

Il lui sembla, cependant, tout-à-coup, que l’île d’Orléans était tout en feu. Il saute un fossé, s’accote sur une clôture, ouvre de grands yeux, regarde, regarde… Il vit à la fin que des flammes dansaient le long de la grève, comme si tous les fi-follets du Canada, les damnés, s’y fussent donné rendez-