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LES ANCIENS CANADIENS.

achetée à l’âge de quatre ans, et qui en avait alors seize à dix-sept. Quant au masque, je l’avais apporté de Québec.

L’épreuve était trop forte ; la pauvre femme devint pâle comme une morte, poussa un cri lamentable, et se sauva dans une chambre, où elle se barricada avec tous les meubles, qu’avec une force surhumaine elle empila contre la porte.

Nous étions tous au désespoir d’une imprudence qui pouvait avoir des suites funestes pour cette malheureuse femme. Ma mère, tout en se désolant, tâchait de calmer Marie en lui criant que c’était un tour qu’on lui avait fait ; que le prétendu diable n’était que la mulâtresse. Elle finit par lui faire entendre raison et lui montrant toutes les pièces de la mascarade, par la fenêtre de la chambre où elle s’était renfermée. Elle lui fit avaler ensuite des gouttes de je ne sais quoi, lui fit boire du vin chaud, et la renvoya chargée de présents ; mais avec la ferme résolution de ne plus se prêter à l’avenir à de tels badinages. J’ai toujours entendu dire que la folle du domaine avait cessé d’habiter sa cabane après cette aventure.


CHAPITRE DIXIÈME.


(a) Monsieur James Caldwell, réfugié à Québec après la prise du Détroit, et cousin germain de ma femme, (son père ayant épousé une demoiselle Baby du Haut-Canada,) me racontait vers, l’année 1814, une anecdote à peu près semblable. Son frère, le capitaine John Caldwell, ayant rendu à un sauvage ivrogne un service à peu près analogue à celui que j’ai consigné, l’indigène réformé voulut d’abord lui témoigner sa reconnaissance en lui offrant de riches présents et ensuite d’une manière assez singulière, quoique dans les mœurs de ces barbares.

Il apprend que son bienfaiteur est en danger de mort des suites d’une blessure qu’il avait reçue dans un combat, pendant la dernière guerre américaine avec l’Angleterre. Il se rend au chevet du lit du malade avec deux prisonniers américains qu’il avait fait, et lui dit :

— Tiens, mon frère, je vais casser la tête à ces deux chiens de grands couteaux (noms que les sauvages donnaient aux Américains) et le manitou satisfait te laissera vivre.

Le capitaine Caldwell eut beaucoup de peine à empêcher le sacrifice au manitou, mais à force de supplications, la reconnaissance l’emporta, et l’Indien lui fit présent des deux prisonniers.

Les circonstances, qui accompagnèrent la blessure de Caldwell, méritent d’être reportées. Dans un combat qu’il livrait aux Américains avec nos alliés sauvages, il aperçut un soldat ennemi blessé, qui faisait des efforts inutiles pour se relever ; mû par la compassion, il courut à lui, afin d’empêcher les Indiens de le massacrer ; mais comme il se baissait en disant à l’Américain de ne rien craindre, et qu’il allait le protéger, celui-ci tira un couteau et le lui passa au travers de la gorge. Caldwell tomba à terre, et l’Améri-