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LES ANCIENS CANADIENS.

nous assîmes sur l’herbe pour jaser. Je lui dis, dans le cours de la conversation, que Bernuchon Bois était mort.

— Est-il trépassé, dit-il, avec sa grande pipe dans la bouche, qu’il ornait de toutes les plumes de coq vertes et rouges qu’il pouvait ramasser ?

— Oui, lui répondis-je en badinant : je crois qu’il ne l’a lâchée que pour rendre le dernier soupir.

Et là-dessus nous nous mîmes à faire des charades qui n’avaient plus de fin.

Vous savez, monsieur, ajouta Desrosiers, que les habitants se servent toujours de brûlots bien courts : c’est plus commode pour travailler ; mais le défunt Bernuchon était un homme glorieux, qui portait haut ; et il fumait constamment, même pendant les jours ouvriers, avec une longue pipe ; il en avait en outre une, pour les dimanches, ornée comme l’avait dit mon ami. Les jeunesses s’en moquaient, mais il ne voulait pas en démordre. Tous ces badinages étaient bons de son vivant, mais c’était très mal à nous de le charader, quand il était à dix pieds de nous bien tranquille dans son cercueil. Les morts sont rancuneux, et ils trouvent toujours le moyen de prendre leur revanche : on ne perd rien pour attendre ; quant à moi, je n’attendis pas longtemps, comme vous allez voir.

Il faisait une chaleur étouffante du mois de juillet ; le temps se couvrit tout à coup, si bien qu’en peu d’instants il fit aussi noir que dans le fond d’une marmite. Un éclair dans le sud nous annonça l’orage, et mon ami et moi nous nous séparâmes après avoir bien ri du défunt Bernuchon et de sa grand’pipe.

J’avais près de trois bons quarts de lieue pour me rendre chez moi ; et plus j’avançais, plus je me trouvais mal à l’aise de m’être moqué d’un chrétien qui était défunté…… Boum ! boum ! un coup de tonnerre ; le pas commence à me ralentir : j’avais une pesanteur sur les épaules. Je faisais mon possible pour hâter le pas, je pensais toujours au défunt et je lui faisais ben des excuses d’en avoir fait des risées. Cri ! cra ! cra ! un épouvantable coup de tonnerre, et je sens aussitôt un poids énorme sur mon dos, et une joue froide collée contre la mienne ; je ne marchais plus qu’en tricolant.

Ce n’était pourtant pas, ajouta Desrosiers, la pesanteur de son corps qui me fatiguait le plus : c’était un petit homme chétif de son vivant ; j’en aurais porté quatre comme lui, sans me vanter : et il devait encore avoir pas mal racorni depuis trois ans qu’il était dans la terre. Ce n’était donc pas sa pesanteur qui me fatiguait le plus, mais…… Tenez, monsieur, faites excuse si je suis obligé de jurer ; je sais que ce n’est pas poli devant vous.

— À votre aise, mon cher Desrosiers, lui dis-je ; vous contez si bien, que je consentirais à vous voir souffrir quelques mois de purgatoire, plutôt que de supprimer les moindres circonstances de votre intéressante aventure.

— C’est de votre grâce, monseigneur, répliqua-t-il tout fier de mon éloge.

Desrosiers se faisait courtisan : je n’étais alors seigneur qu’en perspec-