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LES ANCIENS CANADIENS.

sur la chaussée même du moulin, soit en traversant dans un petit canot les eaux profondes de l’écluse. Pendant les fréquentes visites que ma famille faisait au seigneur Jean-Baptiste Couillard, son fils et moi faisions des excursions fréquentes sur l’îlot, où nous avions construit une petite cabane avec les branches de cèdre et de sapin dont il était encore couvert, malgré les ravages fréquents des débâcles du printemps.

Mon jeune ami demanda un jour à son père de lui céder ce petit domaine, dont il avait même déjà pris possession.

— Volontiers, lui dit son père, qui était un savant en us ; mais quel nom lui donnerons-nous ? attends un peu, et choisis toi-même.

Et il commença alors à faire une nomenclature de toutes les îles connues, je crois, des anciens Grecs et des anciens Romains, et le fils de lui dire :

— Non ! non ! Il y a une heure que je m’égosille à crier que je veux l’appeler « l’îlot au petit Couillard ».

On fut aux voix ; et toute la société prit pour l’enfant, malgré les réclamations du père désolé de ne pouvoir lui donner un nom scientifique.

Toute la société se transporta l’après-midi sur « l’îlot au petit Couillard », où une excellente collation l’attendait ; et mon jeune ami prit possession de son domaine.

Ô le plus ancien et le plus constant de mes amis ! tu m’as abandonné sur cette terre de douleurs, après une amitié sans nuage de plus d’un demi-siècle, pour habiter un lieu de repos. Car toi aussi, ô le plus vertueux des hommes que j’ai connus ! tu as bu la coupe amère des tribulations ! tu as vu passer le domaine de tes aïeux entre les mains de l’étranger ! Et lorsque tu es descendu dans le tombeau, tu n’as emporté avec toi, de toutes tes vastes possessions, de l’îlot même que tu affectionnais pendant ton enfance, que la poignée de terre que le fossoyeur et tes amis ont jetés sur ton cercueil !


CHAPITRE SIXIÈME.


(a) La maîtresse de la maison s’amusait quelquefois pendant l’hiver à mystifier ses amis en substituant un plat de belle neige, arrosée de quelques cuillerées de la vraie sauce jaune de cet excellent entre-mets, pour mieux servir à l’illusion. Bien entendu, qu’après avoir beaucoup ri, le véritable plat d’œufs-à-la-neige était substitué au premier par trop froid pour les convives.

(b) L’auteur a toujours vu la mode actuelle des couteaux de table pendant le service des viandes ; néanmoins la tradition était telle qu’il l’a mentionnée plus haut : l’anecdote suivante le confirme.

Un vieux gentilhomme canadien dînant un jour au château Saint-Louis, après la conquête, se servit à table d’un superbe couteau à gaîne, qu’il portait suspendu à son coup. Son fils, qui était présent, et qui, suivant l’expression de son père, avait introduit chez lui les couteaux de table