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NOTES ET ECLAIRCISSEMENTS


CHAPITRE PREMIER.


(a) Tous les bateliers de la Pointe-Lévis étant aussi cultivateurs, il y a quelque soixante ans, ce n’était pas une petite affaire que de traverser le fleuve Saint-Laurent pour se rendre à Québec, pendant les travaux agricoles ; hors les jours de marché, où le trajet avait lieu à certaines heures fixes, le voyageur était obligé d’attendre quelquefois pendant des demi-journées entières et même de coucher souvent à la Pointe-Lévis. Les bateliers, généralement assez bourrus de leur métier, ne se dérangeaient de leur besogne que pour leurs pratiques, qu’ils refusaient, d’ailleurs, souvent de traverser, pour peu qu’ils eussent d’autres affaires. Il faut pourtant avouer que les femmes suppléaient de temps à autre à leurs maris ; qu’en les cajolant un peu, elles finissaient par prendre le voyageur en pitié, et laissaient leur ménage aux soins des dieux Lares, pour prendre l’aviron. Il est juste de leur rendre ce témoignage, qu’une fois l’aviron en main, elles guidaient les petits canots d’alors avec autant d’habileté que leurs époux.

À défaut des Canadiens restait, pendant la belle saison de l’été, la ressource des sauvages, dont les cabanes couvraient près de deux milles des grèves, depuis l’église de la Pointe-Lévis, en courant au sud-ouest. Mais ces messieurs n’étaient guère tempérants ! ils avaient pour principe bien arrêté, de boire à la santé de leur bon père le Roi George III, jusqu’à la dernière nippe des cadeaux qu’ils recevaient du gouvernement ; ce sentiment était sans doute très louable ! mais peu goûté des voyageurs, à la vue de leurs frêles canots d’écorce de bouleau, guidés par des hommes à moitié ivres.

Ceci me rappelle une petite anecdote qui peint assez bien les mœurs de cette époque. C’était un dimanche, jour de gaieté pour toute la population sans exception de cultes. Les auberges étaient ouvertes à tout venant ; et les sauvages, malgré les lois prohibitives à leur égard, avaient bu dans le courant de la matinée plus de lom (rum) que de raitte (lait).

(Je n’ai jamais pu résoudre pourquoi ces sauvages substituaient la lettre l à la lettre r dans rum et la lettre r à la lettre l dans lait ; et aussi la lettre b à la lettre f dans frère : ils disaient le plus souvent mon brère, au lieu de mon frère. Je laisse le soin de décider cette importante question à ceux qui sont versés dans la connaissance des idiomes indiens).