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UNE NUIT AVEC LES SORCIERS.


au-devant de nous, afin que rien ne manque à notre entrée triomphale au manoir de Saint-Jean-Port-Joli !

— Bravo ! de Locheill, fit Jules ; te voilà sauvé, mon frère ! bien riposté ! Coups de griffes pour coups de griffes, comme disait un jour un saint de ton pays, ou des environs, aux prises avec sa majesté satanique.

José, pendant ce colloque, se grattait la tête d’un air piteux. Semblable au Caleb Balderstone, de Walter Scott, dans sa “ Bride of Lammermoor,” il était très-sensible à tout ce qu’il croyait toucher à l’honneur de son maître. Aussi s’écria-t-il, d’un ton lamentable :

— Chien d’animal, bête que j’ai été ! c’est toute ma faute à moi ! Le seigneur a quatre carioles dans sa remise, dont deux, toutes flambant neuves, sont vernies comme des violons ; si bien qu’ayant cassé mon miroir dimanche dernier, je me suis fait la barbe en me mirant dans la plus belle. Si donc, quand le seigneur me dit avant-hier au matin : mets-toi faraud, José, car tu vas aller chercher monsieur mon fils, à Québec, ainsi que son ami, monsieur de Locheill. Aie-bien soin, tu entends, de prendre une voiture convenable ! Moi, bête animal ! je me dis, voyant l’état des chemins, la seule voiture convenable est un traîneau sans lisses. Ah ! oui ! je vais en recevoir un savon ! j’en serai quitte à bon marché, s’il ne me retranche pas mon eau-de-vie pendant un mois… À trois coups par jour, ajouta José en branlant la tête, ça fait toujours ben quatre-vingt-dix bons coups de retranchés, sans compter les adons (casualités, politesses) ! mais c’est égal : je n’aurai pas volé ma punition.