Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/336

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
338
LES ANCIENS CANADIENS.

Et la noble demoiselle pleura amèrement, la tête penchée sur l’épaule de son frère.

— Tout le monde ignorera, reprit-elle ; tu ne comprendras jamais toi-même toute l’étendue de mon sacrifice ! mais ne crains rien, mon cher Jules, ce sacrifice n’est pas au-dessus de mes forces : fière des sentiments qui me l’ont inspiré, toute à mes devoirs envers mes parents, je coulerai des jours paisibles et sereins au milieu de ma famille. Et sois certain, continua-t-elle avec exaltation, que celle qui a aimé constamment le noble Archibald Cameron de Locheill, ne souillera jamais son cœur d’un autre amour terrestre. Tu as fait, Jules, un mauvais choix de ce lieu pour l’entretien que tu désirais, de ce cap d’où j’ai tant de fois contemplé, avec orgueil, le manoir opulent de mes aïeux, remplacé par cette humble maison construite au prix de tant de sacrifices et de privations. Descendons maintenant ; et si tu m’aimes, ne reviens jamais sur ce pénible sujet.

— Âme sublime ! s’écria Jules.

Et le frère et la sœur se tinrent longtemps embrassés en sanglotant.

Arché, après avoir perdu tout espoir d’épouser Blanche d’Haberville, s’occupa sérieusement d’acquitter la dette de gratitude qu’il devait à Dumais. Le refus de Blanche changeait ses premières dispositions à cet égard, et lui laissait plus de latitude ; car lui aussi jura de garder le célibat. Arché, que le malheur avait mûri avant l’âge, avait étudié bien jeune et de sang-froid les hommes et les choses ; et il en était venu à la sage conclusion qu’il est bien rare qu’un mariage soit heureux sans amour mutuel. Bien loin d’avoir la fatuité de presque tous les jeunes