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tant du côté gauche, que toute la classe tremblait pour le sort de la base qu’elle menaçait d’écraser ; ce que voyant notre professeur, il tâcha de te consoler en te prédisant que lors de la reconstruction de la tour de Pise, on te passera la règle et le compas.

Jules prend une attitude tragi-comique, et s’écrie :

Tu t’en souviens, Cinna ! et veux m’assassiner !

Tu veux m’assassiner sur la voie royale, le long du fleuve Saint-Laurent, sans être touché des beautés de la nature qui nous environnent de toutes parts ; à la vue, au nord, de cette belle chute de Montmorency, que les habitants appellent la vache[1], nom peu poétique, à la vérité, mais qui explique si bien la blancheur de l’onde qu’elle laisse sans cesse échapper de ses longues mamelles, comme une vache féconde laisse sans cesse couler le lait, qui fait la richesse du cultivateur. Tu veux m’assassiner en présence de l’Île d’Orléans, qui commence à nous voiler, à mesure que nous avançons, cette belle chute que j’ai peinte avec des couleurs si poétiques. Ingrat ! rien ne peut t’attendrir ! pas même la vue de ce pauvre José, touché de tant de sagesse et d’éloquence dans une si vive jeunesse, comme aurait dit Fénélon, s’il eût écrit mes aventures.

— Sais-tu, interrompit Arché, que tu es pour le moins aussi grand poète que géomètre ?

— Qui en doute ? dit Jules. N’importe ; ma perpendiculaire vous fit tous bien rire, et moi le premier. Tu sais, d’ailleurs, que c’était un tour de ce farceur

  1. Les habitants appellent encore aujourd’hui le sault Montmorency « la vache ».