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DE LOCHEILL ET BLANCHE.

La noble jeune fille ignorait tout autre gloire que celle du soldat : son père, presque toujours sous le drapeau, ne revenait au sein de sa famille que pour l’entretenir des exploits de ses compatriotes, et Blanche, encore enfant, s’enthousiasmait au récit de leurs exploits presque fabuleux.

– Ce sont, hélas ! dit Arché, des triomphes biens amers, quand on songe aux désastres qu’ils causent : aux pleurs des veuves et des orphelins, privés de ce qu’ils ont de plus cher au monde ; à leurs cruelles privations ; à leur misère souvent absolue ! Mais nous voici arrivés à la rivière Port-Joli : elle est bien nommée ainsi avec ses bords si riants couverts de rosiers sauvages ; ses bosquets de sapins et d’épinettes, et ses talles d’aulnes et de buissons. Que de souvenirs cette charmante rivière me rappelle ! il me semble voir encore votre excellente mère et votre bonne tante assises toutes deux sur ce gazon pendant une belle soirée du mois d’août, tandis que nous la remontions dans notre petit canot, peint en vert, jusqu’à l’îlot à Babin, en répétant en chœur, et en battant la mesure avec nos avirons, le refrain de votre jolie chanson :

Nous irons sur l’eau nous y prom’promener,
Nous irons jouer dans l’île.

Il me semble entendre la voix de votre mère nous criant à plusieurs reprises : « mais allez-vous me ramener Blanche, mes imparfaits ; il est l’heure du souper, et vous savez que votre père exige la ponctualité aux repas. » Et Jules criant, en nageant vers elle avec force : « ne craignez rien de la mauvaise humeur de mon père ; je prends tout sur moi ; je le ferai rire en lui disant que, comme Sa Majesté