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DE LOCHEILL ET BLANCHE.

émancipation comme de ça », disait-elle, en se faisant claquer les doigts, « car elle avait autant droit de rester à la maison où elle avait été élevée, que lui et tous les siens ». Si son maître exaspéré la mettait dehors par la porte du nord, elle rentrait aussitôt par la porte du sud, et vice versâ.

Cette même femme, d’un caractère indomptable, avait néanmoins été aussi affectée des malheurs de ses maîtres, que si elle eût été leur propre fille ; et, chose étrange, tout le temps qu’elle vit le capitaine en proie aux noires vapeurs qui le dévoraient, elle fut soumise, et obéissante à tous les ordres qu’elle recevait : se multipliant pour faire seule la besogne de deux servantes. Quand elle était seule avec Blanche, elle se jetait souvent à son cou en sanglotant, et la noble demoiselle faisait trêve à ses chagrins pour consoler la pauvre esclave. Il faut dire à la louange de Lisette qu’aussitôt le bonheur revenu dans la famille, elle redevint aussi volontaire qu’auparavant.

De Locheill, en sortant de la cuisine, courut au-devant de José, qui revenait en chantant du jardin, chargé de légumes et de fruits.

— Faites excuse, lui dit José, si je ne vous présente que la main gauche : j’ai oublié l’autre sur les plaines d’Abraham : je n’ai pas, d’ailleurs, de reproche à faire à la petite jupe, (sauf le respect que je vous dois), qui m’en a débarrassé (f) : il a fait les choses en conscience ; il me l’a coupée si proprement dans la jointure du poignet qu’il a exempté bien de la besogne au chirurgien qui a fait le pansement. Il est vrai de dire que nous sommes qui dirait à peu près quittes, la petite jupe et moi ; car, faisant le plongeon pour reprendre mon fusil tombé à terre,