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LES ANCIENS CANADIENS.

chacun, qu’il reconstruisait sa propre demeure. Tous ces braves gens tâchaient de faire oublier à leur seigneur des malheurs qu’eux-mêmes avaient pourtant éprouvés, mais qu’on aurait pu croire qu’eux seuls avaient mérités. Avec ce tact délicat dont les Français sont seuls susceptibles, ils n’entraient jamais dans les pauvres chambres que la famille s’était réservées dans le moulin, sans y être conviés : on aurait dit qu’ils craignaient de les humilier. S’ils avaient été affectueux, polis envers leur Seigneur dans son opulence, c’était maintenant un culte, depuis que la main de fer du malheur l’avait étreint (a).

Il n’y a que ceux qui ont éprouvé de grands revers de fortune, qui ont été exposés à de longues et cruelles privations, qui puissent apprécier le contentement, la joie, le bonheur même de ceux qui ont en partie réparé leurs pertes ; qui commencent à renaître à l’espérance d’un heureux avenir. Chacun auparavant avait respecté le chagrin qui dévorait le capitaine d’Haberville : on ne se parlait qu’à demi-voix dans la famille : la gaieté française avait semblé bannie pour toujours de cette triste demeure. Tout était maintenant changé comme par enchantement.

Le capitaine, naturellement gai, riait et badinait comme avant ses malheurs ; les dames chantaient sans cesse en s’occupant activement des soins du ménage, et la voix sonore de mon oncle Raoul réveillait encore, dans le calme d’une belle soirée, l’écho du promontoire.

Le fidèle José se multipliait pour prouver son zèle à ses maîtres ; et pour se délasser, il racontait aux voisins, qui ne manquaient jamais de venir faire un bout de veillée, les traverses, comme il les appelait,