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LE NAUFRAGE DE “L’AUGUSTE.”

Murray avait toujours sur le cœur sa défaite de l’année précédente : il était d’ailleurs peu susceptible de sentiments chevaleresques. Aussi répondit-il avec aigreur :

— Impossible, monsieur ; je ne puis révoquer l’ordre que j’ai donné : les d’Haberville partiront.

— Que Votre Excellence, dans ce cas, dit Arché, daigne accepté ma résignation.

— Comment, monsieur ! s’écria le général pâlissant de colère.

— Que Votre Excellence, reprit de Locheill avec le plus grand sang-froid, daigne accepter ma résignation, et qu’elle me permette de servir comme simple soldat : ceux qui chercheront, pour le montrer du doigt, le monstre d’ingratitude qui, après avoir été comblé de bienfaits par toute une famille étrangère à son origine, a complété sa ruine sans pouvoir adoucir ses maux, auront plus de peine à le reconnaître dans les rangs, sous l’uniforme d’un simple soldat, qu’à la tête d’hommes irréprochables.

Et il offrit de nouveau le brevet au général. Celui-ci rougit et pâlit alternativement, tourna sur lui-même comme sur un pivot, se mordit la lèvre, se passa la main sur le front à plusieurs reprises, marmotta quelque chose comme un g...am entre ses dents, parut réfléchir une minute en parcourant la chambre de long en large ; puis se calmant tout à coup, tendit la main à Arché, et lui dit :

— J’apprécie, capitaine de Locheill, les sentiments qui vous font agir : notre souverain ne doit pas être privé des services que peut rendre, dans un grade supérieur, celui qui est prêt à sacrifier son avenir à une dette de gratitude ; vos amis resteront.