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LE NAUFRAGE DE “L’AUGUSTE.”

de changer souvent de guides ; car, après huit jours de marche, Acadiens ou sauvages étaient à bout de force.

Après ce touchant récit, la famille d’Haberville passa une partie de la nuit à déplorer la perte de tant de parents et d’amis expulsés, par un ordre barbare, de leur nouvelle patrie ; de tant de Français et de Canadiens qui espéraient se consoler de cette perte sur la terre de leurs aïeux. C’était, en effet, un sort bien cruel que celui de tous ces infortunés, dont la mer en furie avait rejeté les cadavres sur les plages de cette Nouvelle-France, qu’ils avaient colonisée et défendue avec un courage héroïque (i).

M. de Saint-Luc ne prit que quelques heures de repos ; voulant être le premier à communiquer au général anglais la catastrophe de l’Auguste, et se présenter à lui comme protêt vivant contre la sentence de mort qu’il semblait avoir prononcée de sang-froid contre tant d’innocentes victimes, contre tant de braves soldats, dont il avait pu apprécier la valeur sur les champs de batailles, et qu’il aurait dû estimer, si son âme eût été susceptible de sentiments élevés. Il pouvait se faire que sa défaite de l’année précédente tenait trop de place dans cette âme pour y loger d’autres sentiments que ceux de la haine et de la vengeance.

— Sais-tu, d’Haberville, dit M. de Saint-Luc en déjeunant, quel est le puissant protecteur qui a obtenu du général Murray un répit de deux ans pour te faciliter la vente de tes propriétés ? sais-tu à qui, toi et ta famille, vous devez aujourd’hui la vie que vous auriez perdue en toute probabilité dans notre naufrage ?

— Non, dit M. d’Haberville ; j’ignore quel a été le