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me fallait souvent faire ces trajets à plusieurs reprises pour rapporter leurs paquets, qu’ils n’avaient pas eu la force de porter. Ils avaient entièrement perdu courage ; et j’étais souvent obligé de leur faire des chaussures pour couvrir leurs pieds ensanglantés.

Nous nous traînâmes ainsi, ou plutôt je les traînai pour ainsi dire à la remorque (car le courage, ni même les forces ne me faillirent jamais), jusqu’au 4 de décembre que nous rencontrâmes deux sauvages : peindre la joie, l’extase de mes compagnons, qui attendaient à chaque instant la mort pour mettre fin à leurs souffrances atroces, serait au-dessus de toute description. Ces aborigènes ne me reconnurent pas d’abord en me voyant avec ma longue barbe, et changé comme j’étais après tant de souffrances. J’avais rendu précédemment de grands services à leur nation ; et vous savez que ces enfants de la nature ne manquent jamais à la reconnaissance. Ils m’accueillirent avec les démonstrations de la joie la plus vive : nous étions tous sauvés. J’appris alors que nous étions sur l’île du Cap-Breton, à trente lieues de Louisbourg.

Je pris aussitôt le parti de laisser mes compagnons aux premiers établissements acadiens, sûr qu’ils y seraient à portée de tout secours ; et de m’en retourner à Québec donner au général Murray les premières nouvelles de notre naufrage. Inutile, mes chers amis, de vous raconter les particularités de mon voyage depuis lors, ma traversée de l’île à la terre ferme dans un canot d’écorce au milieu des glaces où je faillis périr, mes marches et contre-marches à travers les bois : qu’il suffise d’ajouter qu’à mon estime, j’ai fait cinq cent cinquante lieues sur des raquettes. J’étais obligé