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LES ANCIENS CANADIENS.

dans mes bras et l’autre attaché à ma ceinture, me crièrent : « sauvez-nous donc, la chaloupe est à l’eau. » Je saisis un cordage avec précipitation, et, au moyen d’une secousse violente, je tombai dans la chaloupe : le même coup de mer qui me sauva la vie, emporta mes deux enfants.

Le narrateur après avoir payé la dette qu’il devait à la nature au souvenir d’une perte si cruelle, reprit, en faisant un grand effort pour maîtriser une douleur qui avait été partagée par ses amis :

— Quoique sous le vent du navire, un coup de mer remplit la chaloupe à peu de chose près ; une seconde vague nous éloigna du vaisseau, une troisième nous jeta sur le sable. Il serait difficile de peindre l’horreur de cette scène désastreuse, les cris de ceux qui étaient encore sur le navire, le spectacle déchirant de ceux qui, s’étant précipités dans les flots, faisaient des efforts inutiles pour gagner le rivage.

Des sept hommes vivants que nous étions sur la côte de cette terre inconnue, j’étais pour ainsi dire le seul homme valide. Je venais de perdre mon frère et mes enfants, et il me fallait refouler ma douleur au fond de mon âme pour m’occuper du salut de mes compagnons d’infortune. Je réussis à rappeler à la vie le capitaine qui avait perdu connaissance. Les autres étaient transis de froid, car une pluie glaciale tombait à torrents. Ne voulant pas perdre de vue le navire (h), je leur remis ma corne à poudre, mon tondre, mon batte feu et une pierre à fusil ; leur enjoignant d’allumer du feu à l’entrée d’un bois à un arpent du rivage ; mais ils ne purent y réussir : à peine même eurent-ils la force de venir m’en informer, tant ils étaient saisis de froid et accablés de fatigue. Je par-