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LE NAUFRAGE DE « L’AUGUSTE. »

sur le tillac, tenant son jeune enfant dans ses bras ; ses cheveux et ses vêtements étaient en désordre : c’était l’image du désespoir personnifié. Elle s’agenouilla ; puis m’apercevant, elle s’écria : « Mon cher de Saint-Luc, il faut donc mourir ! »

Je courais à son secours, quand une vague énorme, qui déferla sur le pont, la précipita dans les flots (g).

— Pauvre amie ! compagne de mon enfance, s’écria madame d’Haberville au milieu de ses sanglots ; pauvre sœur que la même nourrice a allaitée ! On a voulu me faire croire que j’étais en proie à une surexcitation nerveuse, produite par l’inquiétude qui me dévorait, lorsque je t’ai vue toute éplorée pendant mon sommeil, le 17 novembre, sur le tillac de l’Auguste, avec ton enfant dans les bras, et lorsque je t’ai vue disparaître sous les flots ! Je ne me suis point trompé ; pauvre sœur ! elle voulait me faire ses adieux avant de monter au ciel avec l’ange qu’elle tenait dans ses bras !

Après un certain temps donné aux émotions douloureuses que ce récit avait causées, monsieur de Lacorne continua sa narration :

— Équipage et passagers s’étaient accrochés aux haubans et galabans pour résister aux vagues qui, déferlant sur le navire, faisaient à chaque instant leur proie de quelques nouvelles victimes : qu’attendre, en effet, d’hommes exténués et de faibles femmes ! Il nous restait, pour toute ressource, deux chaloupes, dont la plus grande fut enlevée par une vague, et mise en pièces. L’autre fut aussi jetée à la mer, et un domestique, nommé Étienne, s’y précipita, ainsi que le capitaine et quelques autres. Je ne m’en aperçus que lorsqu’un de mes enfants, que je tenais