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LES PLAINES D’ABRAHAM.

dans laquelle il se trouvait, à la responsabilité qui pesait sur lui pour le salut de ses soldats, fit faire halte à sa compagnie, et s’avança au-devant de Jules, sa claymore dirigée vers la terre. Un instant, un seul instant, toute la tendresse du jeune français pour son frère d’adoption sembla se réveiller en lui, mais réprimant ce premier mouvement de sensibilité, il lui dit d’une voix creuse et empreinte d’amertume :

— Défendez-vous, monsieur de Locheill, vous aimez les triomphes faciles. Défendez-vous ! Ah ! traître !

À cette nouvelle injure, Arché, se croisant les bras, se contenta de répondre de sa voix la plus affectueuse :

— Toi aussi, mon frère Jules, toi aussi, tu m’as condamné sans m’entendre !

À ces paroles d’affectueux reproches, une forte secousse nerveuse acheva de paralyser le peu de force qui restait à Jules ; l’épée lui échappa de la main, et il tomba la face contre terre. Arché fit puiser de l’eau dans le ruisseau voisin par un de ses soldats ; et sans s’occuper du danger auquel il s’exposait, il prit son ami dans ses bras et le porta sur la lisière du bois, où plusieurs blessés tant français que canadiens, touchés des soins que l’Anglais donnait à leur jeune officier, n’eurent pas même l’idée de lui nuire, quoique plusieurs eussent rechargé leurs fusils. Arché, après avoir visité les blessures de son ami, jugea que la perte de sang était la seule cause de la syncope : en effet l’eau glacée qu’il lui jeta au visage, lui fit bien vite reprendre connaissance. Il ouvrit les yeux, les leva un instant sur Arché, mais ne proféra aucune parole. Celui-ci lui serra une main qui parut répondre par une légère pression.