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LES ANCIENS CANADIENS.

aurait paru courte en faisant rôtir un prisonnier. De Locheill frissonna involontairement.

Quant aux deux Canaouas que nous avons laissés, n’ayez aucune inquiétude pour eux, ils sauront bien se retirer d’affaire. Le sauvage est l’être le plus indépendant de la nature : il ne rend compte de ses actions à autrui qu’autant que ça lui plaît. D’ailleurs tout ce qui pourrait leur arriver de plus fâcheux dans cette circonstance, serait, suivant leur expression, de couvrir la moitié du prisonnier avec des peaux de castor ou d’autres objets : en un mot d’en payer la moitié à Taoutsi et Katakouï. Il est même plus que probable que la Grand’-Loutre, qui est une sorte de bel esprit parmi eux, s’en retirera en faisant rire les autres aux dépens de ses deux associés, car il n’est jamais à bout de ressources. Il va leur dire que Talamousse et lui avaient bien le droit de disposer de la moitié de leur captif ; qu’une moitié une fois libre a emporté l’autre avec elle : qu’ils se dépêchent de courir, que le prisonnier chargé de leur butin ne peut se sauver bien vite : ou d’autres farces semblables toujours bien accueillies des sauvages. Enfin, ce qui est encore probable, c’est qu’il va leur parler de mon aventure aux chutes de Saint-Thomas, que tous les Abénaquis connaissent, leur dire que c’est à votre dévouement que je dois la vie ; et, comme les sauvages n’oublient jamais un service, ils s’écrieront : — mes frères ont bien fait de relâcher le sauveur de notre ami le visage-pâle !

De Locheill voulut entrer dans de longs détails pour se disculper aux yeux de Dumais de sa conduite cruelle le jour précédent ; mais celui-ci l’arrêta.

— Un homme comme vous, monsieur Archibald de