Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
UNE NUIT AVEC LES SAUVAGES.

silence, chargea de nouveau sa pipe, se mit à fumer et dit de sa voix la plus calme :

— Quand la Grand’-Loutre est tombé malade de la picote, près de la Rivière-du-Sud, ainsi que son père, sa femme et ses deux fils, Dumais a été les chercher ; et au risque de prendre la maladie lui-même, ainsi que sa famille, il les a transportés dans son grand wigwam, où il les a soignés pendant trois lunes. Ce n’est pas la faute à Dumais si le vieillard et les deux jeunes gens sont morts : Dumais les a fait enterrer avec des cierges à l’entour de leurs corps, comme des chrétiens, et la robe noire a prié le Grand-Esprit pour eux.

— Si Dumais, répliqua l’Indien, ainsi que sa femme et ses enfants fussent tombés malades dans la forêt, la Grand’-Loutre les aurait portés dans son wigwam, aurait pêché le poisson des lacs et des rivières, chassé le gibier dans les bois, aurait acheté l’eau-de-feu, qui est la médecine des Français ; et il aurait dit : — mangez et buvez, mes frères, et prenez des forces. La Grand’-Loutre et sa squaw auraient veillé jour et nuit auprès de la couche de ses amis français ; et la Grand’-Loutre n’aurait pas dit : — je t’ai nourri, soigné, et j’ai acheté avec mes pelleteries l’eau-de-feu qui est la médecine des visages-pâles. Que mon frère, ajouta l’Indien en se redressant avec fierté, emmène le prisonnier : le peau-rouge ne doit plus rien aux visages-pâles !

Et il se remit à fumer tranquillement.

— Écoute, mon frère, dit le Canadien, et pardonne à Dumais s’il t’a caché la vérité : il ne connaissait pas ton grand cœur. Il va parler maintenant en présence du Grand-Esprit qui l’écoute ; et le visage-pâle ne ment jamais au Grand-Esprit.