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INCENDIE DE LA CÔTE SUD.

frère d’Haberville. Sans faire attention à la joie féroce des Indiens, dont les yeux brillaient comme des escarboucles en le voyant en proie au désespoir, il s’écria :

— Tu as vaincu Montgomery ! mes malédictions retombent maintenant sur ma tête ! tu diras que j’ai déserté à l’ennemi ; tu publieras que je suis un traître que tu soupçonnais depuis longtemps ! tu as vaincu, car toutes les apparences sont contre moi. Ta joie sera bien grande, car j’ai tout perdu, même l’honneur !

Et, comme Job, il s’écria :

— Périsse le jour qui m’a vu naître !

Après deux heures d’une marche rapide, ils arrivèrent au pied de la montagne, en face de la coupe qui conduit au lac des Trois-Saumons : ce qui fit supposer à Arché qu’un détachement de sauvages y était campé. Arrivés sur les bords du lac, un de ceux qui le tenaient prisonnier poussa, par trois fois, le cri du huard ; et les sept échos des montagnes répétèrent, chacun trois fois, en s’éloignant, le cri aigre et aigu du superbe cygne du Bas-Canada. Malgré la lumière incertaine des étoiles, de Locheill n’aurait pu se défendre d’un nouveau mouvement de surprise mêlée d’admiration, à la vue de cette belle nappe d’eau limpide encaissée dans les montagnes et parsemée d’îlots à la couronne de sapins toujours verte, si son cœur eût été susceptible d’autres impressions que de celles de la tristesse. C’était bien pourtant ce même lac où il avait, pendant près de dix ans, fait de joyeuses excursions de pêche et de chasse avec ses amis. C’était bien le même lac qu’il avait traversé à la nage, dans sa plus grande largeur, pour