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INCENDIE DE LA CÔTE SUD.

que la gratitude du pauvre orphelin l’obligeait à refouler dans son cœur, tous ces bons amis écouteront peut-être ma justification avec indulgence et finiront par me pardonner. Mais le capitaine d’Haberville ! le capitaine d’Haberville, qui aime de toute la puissance de son âme, mais dont la haine est implacable, cet homme qui n’a jamais pardonné une injure vraie ou supposée, permettra-t-il à sa famille de prononcer mon nom, si ce n’est pour le maudire ?

Mais j’ai été stupide et lâche, fit de Locheill en grinçant des dents ; je devais déclarer devant mes soldats pourquoi je refusais d’obéir ; et quand bien même Montgomery m’eût fait fusiller sur-le-champ, il se serait trouvé des hommes qui auraient approuvé ma désobéissance, et lavé ma mémoire. J’ai été stupide et lâche ! car dans le cas où le major, au lieu de me faire fusiller, m’eût traduit devant un tribunal militaire, on aurait, tout en prononçant sentence de mort contre moi, apprécié mes motifs. J’aurais été éloquent en défendant mon honneur ; j’aurais été éloquent en défendant un des plus nobles sentiments du cœur humain : la gratitude. Puissiez-vous, mes amis, être témoins de mes remords ! Il me semble qu’une légion de vipères me déchirent la poitrine ! Lâche, mille fois lâche !…

Une voix près de lui répéta : « lâche ! mille fois lâche ! » Il crut d’abord que c’était l’écho du cap qui répétait ses paroles dans cette nuit si calme pour toute la nature, tandis que l’orage des passions grondait seul dans son cœur. Il leva la tête et aperçut, à quelques pieds de lui, la folle du domaine debout sur la partie la plus élevée d’un rocher qui projetait sur la cime du cap ; elle joignit les mains, les étendit vers les ruines