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INCENDIE DE LA CÔTE SUD.

cession de la paroisse de Saint-Jean-Port-Joli était réduite en cendres, et l’ordre d’arrêter le désastre n’arrivait pourtant pas. Parvenu, au soleil couchant, à la petite rivière Port-Poli, à quelques arpents du domaine d’Haberville, de Locheill fit faire halte à sa troupe. Il monta sur la côte du même nom que la rivière, et là, à la vue du manoir et de ses vastes dépendances, il attendit ; il attendit comme un criminel qui, sur l’échafaud, espère jusqu’au dernier moment qu’un messager de miséricorde paraîtra avec un sursis d’exécution. Il contempla le cœur gros de souvenirs cette demeure où pendant dix ans il avait été accueilli comme l’enfant de la maison ; où, pauvre orphelin proscrit et exilé, il avait retrouvé une autre famille. Il contemplait avec tristesse ce hameau silencieux qu’il avait vu si vivant et si animé avant son départ pour l’Europe. Quelques pigeons, qui voltigeaient au-dessus des bâtisses, où ils se reposaient de temps à autre, paraissaient les seuls êtres vivants de ce beau domaine. Il répéta en soupirant, avec le barde écossais : « Solma, thy halls are silent. There is no sound in the woods of Morven. The wave tumbles alone in the coast. The silent beam of the sun is on the field. » – Oh ! oui ! mes amis ! s’écria de Locheill dans l’idiome qu’il affectionnait, vos salons sont maintenant, hélas ! déserts et silencieux ! Il ne sort plus une voix de ce promontoire dont l’écho répétait naguère vos joyeux accents ! le murmure de la vague tombant sur le sable du rivage se fait seul entendre ! Un unique et pâle rayon du soleil couchant éclaire vos prairies jadis si riantes.

Que faire, mon Dieu ! si la rage de cet animal féroce n’est pas assouvie ? Dois-je refuser d’obéir ?