Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
LÉGENDE DE MADAME D’HABERVILLE.

foi ardente : — si vous eussiez été près de moi, mon père, ma petite fille ne serait pas morte, mais je sais que présentement même Dieu vous accordera tout ce que vous lui demanderez.

Le bon religieux se recueillit un instant et pria Dieu de l’inspirer. C’était alors une sentence de vie ou de mort qu’il fallait prononcer sur cette mère qui paraissait inconsolable. Il fallait frapper un grand coup, un coup qui la ramenât à des sentiments plus raisonnables, ou qui brisât à jamais ce cœur prêt à éclater. Il prit les mains de la pauvre femme dans ses mains sèches et crispées par l’âge, les serra avec tendresse, et lui dit de sa voix la plus douce :

— Vous aimiez donc bien l’enfant que vous avez perdue ?

— Si je l’aimais, mon père ! oh ! mon Dieu ! quelle question !

Et comme une insensée, elle se roula en gémissant aux pieds du vieillard. Puis se relevant tout à coup, elle saisit le bas de sa soutane, et lui cria d’une voix brisée par les sanglots :

— Vous êtes un saint, mon père ; mon enfant ! rendez-moi mon enfant ! ma petite Emma !

— Oui, dit le moine, vous aimiez bien votre enfant : vous auriez fait beaucoup pour lui épargner une douleur, même la plus légère ?

— Tout, tout, mon père, s’écria la pauvre femme ! je me serais roulée sur des charbons ardents pour lui exempter une petite brûlure !

— Je le crois, dit le moine ; et vous l’aimez, sans doute encore ?

— Si je l’aime, bonté divine ! dit la pauvre mère