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LES ANCIENS CANADIENS.

l’abattement de toute la famille. Afin de faire diversion, il demanda à sa mère de conter une de ces légendes qui l’amusaient tant dans son enfance.

– Il me semble, maman, que ce sera un nouveau souvenir de la plus tendre des mères, que j’emporterai avec moi dans la vieille Europe.

— Je n’ai rien à refuser à mon fils, dit madame d’Haberville. Et elle commença la légende qui suit :

Une mère avait une enfant unique : c’était une petite fille blanche comme le lis de la vallée, dont les beaux yeux d’azur semblaient se reporter sans cesse de sa mère au ciel et du ciel à sa mère pour se fixer ensuite au ciel. Qu’elle était fière et heureuse cette tendre mère, lorsque dans ses promenades chacun la complimentait sur la beauté de son enfant, sur ses joues aussi vermeilles que la rose qui vient d’éclore, sur ses cheveux aussi blonds, aussi doux que les filaments du lin dans la filerie, et qui tombaient, en boucles gracieuses sur ses épaules ! Oh ! oui ; elle était bien fière et heureuse cette bonne mère.

Elle perdit pourtant un jour l’enfant qu’elle idolâtrait ; et comme la Rachel de l’Écriture, elle ne voulait pas être consolée. Elle passait une partie de la journée dans le cimetière ; elle enlaçant de ses deux bras la petite tombe où dormait son enfant. Elle l’appelait de sa voix la plus tendre, et folle de douleur, elle s’écriait :

— Emma ! ma chère Emma ! c’est ta mère qui vient te chercher pour te porter dans ton petit berceau, où tu seras couchée si chaudement ! Emma ! ma chère Emma ! tu dois avoir bien froid sous cette terre humide.