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LES ANCIENS CANADIENS.

épisodes cruels ; je connais toute la sensibilité de ton âme et je l’ai ménagée. Mon but est rempli ; allons maintenant faire un bout de veillée avec mon fidèle domestique, qui sera sensible à cette marque d’attention avant ton départ pour l’Europe.

Lorsqu’ils entrèrent dans la maison, André achevait de préparer un lit sur un canapé, œuvre des efforts mécaniques du maître et du valet. Ce meuble, dont ils étaient tous deux très-fiers, ne laissait pas d’avoir un pied un peu plus court que ses voisins, mais c’était un petit inconvénient auquel l’esprit ingénieux de Francœur avait remédié à l’aide d’un mince billot.

— Ce canapé, dit le bon gentilhomme d’un air satisfait, nous a coûté, je pense, plus de calculs à André et à moi qu’à l’architecte Perrault, lorsqu’il construisit la colonnade du Louvre, l’orgueil du Grand Roi ; mais nous en sommes venus à bout à notre honneur : il est bien vrai qu’un des pieds présente les armes à tout venant, mais quelle œuvre est sans défaut ? Quant à toi, mon ami Francœur, tu aurais dû te rappeler que dans ce lit de camp devait coucher un militaire, et laisser le pied, que tu as étayé, au port d’arme.

André, sans beaucoup goûter cette plaisanterie qui froissait un peu sa vanité d’artiste, ne put s’empêcher de rire de la sortie de son maître.

Après une assez longue veillée, le bon gentilhomme présenta à Jules un petit bougeoir d’argent d’un travail exquis :

— Voilà, mon cher enfant, tout ce que mes créanciers m’ont laissé de mon ancienne fortune : c’était, je suppose, pour charmer mes insomnies ! Bonsoir, mon cher fils, on dort bien à ton âge : aussi lorsqu’a-