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LE BON GENTILHOMME.

débiteur. Ils avaient raison : je leur devais une bagatelle, mais eux me devaient des sommes considérables. Je leur demandai à régler ; on me le promit, mais on n’en fit rien : on se plut, au contraire, à saper mon crédit en publiant que j’étais ruiné et que j’avais le front de réclamer des dettes imaginaires. On fit plus : on me tourna en ridicule en disant que j’étais un fou prodigue. Un d’eux, farceur quand même, qui dix-huit mois auparavant n’avait conservé une place, — qu’il devait perdre pour abus de confiance, — que par les secours pécuniaires que je lui donnai et dont le secret mourra dans mon cœur, fut intarissable de verve satirique à mes dépens ; ses plaisanteries eurent un succès fou parmi mes anciens amis. Ce dernier trait d’ingratitude m’accabla.

Un seul, oui un seul, et celui-là n’était qu’une simple connaissance que j’avais rencontrée quelquefois en société, ayant eu vent de la ruine qui me menaçait, s’empressa de me dire :

— Nous avons eu des affaires ensemble : voici, je crois, la balance qui vous revient ; compulsez vos livres pour voir si c’est correct.

Il est mort depuis longtemps ; honneur à sa mémoire ! et que les bénédictions d’un vieillard profitent à ses enfants !

Le temps pressait, comme je l’ai dit, et quand bien même j’aurais eu le cœur de faire des poursuites, rien ne pouvait me sauver. Ajoutons les intrigues d’amis et d’ennemis pour profiter de mes dépouilles, et il est aisé de pressentir qu’il me fallait succomber : je baissai la tête sans faire face à l’orage, et je me résignai.

Je ne voudrais pas, ô mon fils ! attrister ta jeune âme du récit de tout ce que j’ai souffert ; il me suffira