jambes, suivi de son compagnon. Malgré mes recherches, je n’en ai eu depuis ni vent ni nouvelle. Notre respectable curé se chargea de vendre les marchandises, dont le produit, avec l’intérêt, a été distribué dernièrement aux sauvages de sa tribu.
Le bon gentilhomme soupira, se recueillit un instant et reprit la suite de sa narration :
— Je vais maintenant, mon cher Jules, te faire le récit de la période la plus heureuse et la plus malheureuse de ma vie : cinq ans de bonheur ! cinquante ans de souffrances ! « Ô mon Dieu ! une journée, une seule journée de ces joies de ma jeunesse, qui me fasse oublier tout ce que j’ai souffert ! Une journée de cette joie délirante qui semble aussi aiguë que la douleur physique ! Oh ! une heure, une seule heure de ces bons et vivifiants éclats de rire, qui dilatent le cœur à le briser, et qui, comme une coupe rafraîchissante du Léthé, effacent de la mémoire tout souvenir douloureux ! Que mon cœur était léger, lorsque entouré de mes amis, je présidais la table du festin ! Un de ces heureux jours, ô mon Dieu ! où je croyais à l’amitié sincère, où j’avais foi en la reconnaissance, où j’ignorais l’ingratitude !
Lorsque j’eus complété mes études, toutes les carrières me furent ouvertes ; je n’avais qu’à choisir : celle des armes s’offrait naturellement à un homme de ma naissance ; mais il me répugnait de répandre le sang de mes semblables. J’obtins une place de haute confiance dans les bureaux. Avec mes dispositions, c’était courir à ma perte. J’étais riche par moi-même ; mon père m’avait laissé une brillante fortune, les émoluments de ma place étaient considérables, je maniais à rouleaux l’or, que je méprisais.