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LES ANCIENS CANADIENS.

de sa jeunesse, pour fêter son jeune ami. Sa conversation toujours amusante était aussi très instructive, car s’il avait beaucoup pratiqué les hommes dans sa jeunesse, il avait aussi trouvé dans l’étude une distraction à ses malheurs.

— Comment trouves-tu ce vin ? dit-il à Jules, qui, mangeant comme un loup, avait déjà avalé quelques rasades.

— Excellent, sur mon honneur.

— Tu es connaisseur, mon ami, reprit monsieur d’Egmont, car si l’âge doit améliorer les hommes et le vin, celui-ci doit être bien bon, et moi je devrais arriver à la perfection, car me voilà bien vite nonagénaire.

— Aussi, dit Jules vous appelle-t-on le bon gentilhomme.

— Les Athéniens, mon fils, bannissaient Aristide en l’appelant le juste. Mais laissons les hommes et parlons du vin : j’en bois rarement moi-même ; j’ai appris à m’en passer comme de bien d’autres objets de luxe inutiles au bien-être de l’homme, et je jouis encore d’une santé parfaite. Ce vin, que tu trouves excellent, est plus vieux que toi : son âge serait peu pour un homme ; c’est beaucoup pour du vin. Ton père m’en envoya un panier le jour de ta naissance, car il était si heureux qu’il fit des cadeaux à tous ses amis. Je l’ai toujours conservé avec beaucoup de soin, et je n’en donne que dans les rares occasions comme celle-ci. À ta santé, mon cher fils ; succès à toutes tes entreprises, et lorsque tu seras de retour dans la Nouvelle-France, promets-moi de venir souper ici et boire une dernière bouteille de ce vin, que je garderai pour toi.

Tu me regardes avec étonnement ; tu crois qu’il est