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LE BON GENTILHOMME.

duraient souvent au delà d’une semaine, surtout en l’absence des étrangers ; car sans éviter positivement la société, il avait trop souffert dans ses rapports avec les hommes de sa classe pour se mêler cordialement à leurs joies bruyantes.

Monsieur d’Egmont quoique pauvre ne laissait pas de faire beaucoup de bien : il consolait les affligés, visitait les malades, les soignait avec des simples dont ses études botaniques lui avaient révélé les vertus secrètes : et si ses charités n’étaient pas abondantes, elles étaient distribuées de si bon cœur, avec tant de délicatesse, que les pauvres en étaient plus touchés que de celles plus considérables de bien des riches. On semblait en conséquence avoir oublié son nom pour ne l’appeler que le bon gentilhomme.

Lorsque monsieur d’Egmont et son jeune ami entrèrent dans la maison après une courte promenade aux alentours, André mettait sur la table un plat de truites de la plus belle apparence et un plat de tourtes à la crapaudine couvertes de cerfeuil cru.

— C’est un souper peu dispendieux, dit le bon gentilhomme ; j’ai pris les truites moi-même, devant ma porte, il y a une heure environ, et André a tué les tourtes ce matin au soleil levant, dans cet arbre sec à demi-portée de fusil de ma maison : tu vois que sans être seigneur, j’ai vivier et colombier sur mon domaine. Maintenant une salade de laitue à la crème, une jatte de framboises, une bouteille de vin ; et voilà ton souper, Jules, mon ami !

— Et jamais vivier et colombier, dit celui-ci, n’auront fourni un meilleur repas à un chasseur affamé.

Le repas fut très gai, car monsieur d’Egmont semblait, malgré son grand âge, avoir retrouvé la gaieté