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LES ANCIENS CANADIENS.

répandu mes bienfaits sur tous les hommes indifféremment, et mes nobles amis ne m’ont payé que d’ingratitude. André seul s’est montré reconnaissant, André seul m’a prouvé qu’il avait un noble cœur : je puis donc, sans manquer à la délicatesse, associer ma fortune à la sienne, comme je l’eusse fait avec un homme de mon rang, s’il s’en fût trouvé un seul, un seul assez généreux pour imiter mon valet ; d’ailleurs, au dernier vivant la succession.

Lorsque Jules arriva, le bon gentilhomme était occupé à sarcler un carré de laitues dans son jardin. Tout à sa besogne, il ne vit point son jeune ami, qui, appuyé sur l’enclos, le contemplait en silence en écoutant son monologue.

— Pauvre insecte ! disait le bon gentilhomme, pauvre petit insecte ! j’ai eu le malheur de te blesser, et voilà que les autres fourmis, naguère tes amies, se précipitent sur toi pour te dévorer ! ces petites bêtes sont donc aussi cruelles que les hommes ! Je vais te secourir : et vous, mesdames les fourmis, merci de la leçon ; j’ai meilleure opinion maintenant de mes semblables.

— Pauvre misanthrope ! pensa Jules ; il faut donc qu’il ait bien souffert, ayant une âme si sensible.

Et, se retirant alors sans bruit, il entra par la porte du jardin.

Monsieur d’Egmont poussa un cri de joie en voyant son jeune ami, et l’embrassant avec affection : il l’avait vu élever, et l’aimait comme son fils. Quoiqu’il eût constamment refusé, depuis trente ans qu’il vivait dans la seigneurie du capitaine d’Haberville, de venir vivre au manoir, avec son fidèle domestique, il y faisait cependant de fréquentes visites, qui