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LES ANCIENS CANADIENS.

traîné sur les plaines d’Abraham ? Est-ce bien lui qui ensanglante le dernier glorieux champ de bataille de ma patrie ? Malheur ! Malheur ! Malheur !

— Cette pauvre femme me fait beaucoup de peine, dit de Locheill comme elle se préparait à entrer dans le fourré.

Elle l’entendit, se retourna pour la dernière fois, se croisa les bras, et lui dit avec un calme plein d’amertume :

— Garde ta pitié pour toi, Archibald de Locheill : la folle du domaine n’a pas besoin de ta pitié ! garde-la pour toi et tes amis ! garde-la pour toi-même lorsque contraint d’exécuter un ordre barbare, tu déchireras avec tes ongles cette poitrine qui recouvre pourtant un cœur noble et généreux ! Garde ta pitié pour tes amis, ô Archibald de Locheill ! lorsque tu promèneras la torche incendiaire sur leurs paisibles habitations : lorsque les vieillards, les infirmes, les femmes et les enfants fuiront devant toi comme les brebis à l’approche d’un loup furieux ! Garde ta pitié ; tu en auras besoin lorsque tu porteras dans tes bras le corps sanglant de celui que tu appelles ton frère ! Je n’éprouve, à présent, qu’une grande douleur, ô Archibald de Locheill ! c’est celle de ne pouvoir te maudire ! Malheur ! Malheur ! Malheur !

Et elle disparut dans la forêt.

— Je veux qu’un Anglais m’étrangle, dit mon oncle Raoul, si Marie la folle n’était pas ce soir le type de toutes les sorcières chantées par les poètes anciens et modernes : je ne sais sur quelle herbe elle a marché, elle toujours si polie, si douce avec nous.

Tous convinrent qu’ils ne l’avaient jamais entendue parler sur ce ton. On fit le reste du chemin en si-