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LES ANCIENS CANADIENS.

L’habitation de la pauvre Marie ne ressemblait en rien à celle de la sibylle de Cumes, ni à l’antre d’aucune sorcière ancienne ou moderne. C’était une cabane de pièces sur pièces, de poutres non équarries, tapissée en dedans de mousse de diverses couleurs ; et dont le toit en forme de cône était recouvert d’écorce de bouleau et de branches d’épinette.

Marie, assise à la porte de la cabane sur un arbre renversé, veillait à la cuisson d’une grillade qu’elle tenait dans une poêle à frire, au-dessus d’un feu entouré de pierres pour l’empêcher de s’étendre. Elle ne fit aucune attention aux visiteurs, mais continua, à son ordinaire, une conversation commencée avec un être invisible, derrière elle, à qui elle répétait, sans cesse, en faisant le geste de le chasser tantôt de la main droite, tantôt de la main gauche qu’elle agitait en arrière : va-t-en ! va-t-en ! c’est toi qui amènes l’Anglais pour dévorer le Français !

— Ah ça ! prophétesse de malheur, dit mon oncle Raoul, quand tu auras fini de parler au diable, voudrais-tu bien me dire ce que signifie cette menace ?

— Voyons, Marie, ajouta Jules : dis-nous donc si tu crois, vraiment, parler au diable ? Tu peux en imposer aux habitants ; mais tu dois savoir que nous n’ajoutons pas foi à de telles bêtises.

— Va-t-en ! va-t-en ! continua la sorcière en faisant les mêmes gesticulations, c’est toi qui amènes l’Anglais pour dévorer le Français.

— Je vais lui parler, dit Blanche ; elle m’aime beaucoup ; je suis sûre qu’elle me répondra.

S’approchant alors, elle lui mit la main sur l’épaule, et lui dit de sa voix la plus douce :