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LE MANOIR D’HABERVILLE.

réveillon pendant la veillée du mai, ainsi que l’ample déjeuner à la fourchette du lendemain, ne manquaient pas de stimuler le zèle dans cette circonstance.

— Viens, dit Jules à son ami après le souper : viens voir les apprêts qui se font pour le repas du matin des gens du mai ! Comme ni toi, ni moi, n’avons eu l’avantage d’assister à ces fameuses noces du riche Gamache qui réjouissaient tant le cœur de ce gourmand Sancho Pança : ça pourra, au besoin, nous en donner une idée.

Tout était mouvement et confusion dans la cuisine où ils entrèrent d’abord : les voix rieuses et glapissantes des femmes se mêlaient à celle des six hommes de relais occupés à boire, à fumer et à les agacer. Trois servantes, armées chacune d’une poële à frire, faisaient, ou, suivant l’expression reçue, tournaient des crêpes au feu d’une immense cheminée dont les flammes brillantes enluminaient à la Rembrandt ces visages joyeux, dans toute l’étendue de cette vaste cuisine. Plusieurs voisines, assises à une grande table, versaient avec une cuillère à pot, dans les poëles, à mesure qu’elles étaient vides, la pâte liquide qui servait à confectionner les crêpes, tandis que d’autres les saupoudraient avec du sucre d’érable à mesure qu’elles s’entassaient sur des plats, où elles formaient déjà des pyramides respectables. Une grande chaudière, à moitié pleine de saindoux frémissant sous l’ardeur d’un fourneau, recevait les croquecignoles que deux cuisinières y déposaient et retiraient sans cesse (c).

Le fidèle José, l’âme, le marjordome du manoir, semblait se multiplier dans ces occasions solennelles.