aussi à partager leurs peines, si la main cruelle du malheur s’appesantissait sur eux.
Le lieutenant Raoul d’Haberville, ou plutôt le chevalier d’Haberville que tout le monde appelait « mon oncle Raoul », était le frère cadet du capitaine ; moins âgé de deux ans que lui, il n’en accusait pas moins dix ans de plus. C’était un tout petit homme que « mon oncle Raoul », à peu près aussi large que haut, et marchant à l’aide d’une canne ; il aurait été très laid, même sans que son visage eût été couturé par la petite vérole. Il est difficile de savoir d’où lui venait ce sobriquet : on dit bien d’un homme, il a l’air d’un père, il a l’encolure d’un père, c’est un petit père ; mais on ne dit jamais de personne qu’il a l’air ou la mine d’un oncle. Toujours est-il que le lieutenant d’Haberville était l’oncle de tout le monde ; ses soldats même, lorsqu’il était au service, l’appelaient, à son insu, « mon oncle Raoul ». Tel, si toutefois on peut comparer les petites choses aux grandes, Napoléon n’était pour ses grognards que « le petit caporal ».
Mon oncle Raoul était l’homme lettré de la famille d’Haberville ; et partant assez pédant, comme presque tous les hommes qui sont en rapports journaliers avec des personnes moins instruites qu’eux. Mon oncle Raoul, le meilleur enfant du monde, quand on faisait ses volontés, avait un petit défaut : celui de croire fermement qu’il avait toujours raison ; ce qui le rendait très irascible avec ceux qui ne partageaient pas son opinion.
Mon oncle Raoul se piquait de bien savoir le latin, dont il lâchait souvent quelques bribes à la tête des lettrés et des ignorants. C’étaient des discussions