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LE MANOIR D’HABERVILLE.

lait que le besoin, ou le caprice d’un enfant demandait à sa tendresse maternelle ! Et penser qu’il faut tout quitter ! peut-être pour toujours ! Oh, ma mère ! ma mère ! quelle séparation !

Et Jules versa des larmes.

De Locheill, très affecté, pressa la main de son ami en lui disant : – Tu reviendras, mon cher frère ; tu reviendras faire le bonheur et la gloire de ta famille !

— Merci, mon cher Arché, dit Jules, mais avançons : les caresses de mes parents dissiperont bien vite ce mouvement de tristesse.

Arché, qui n’avait jamais visité la campagne pendant la saison du printemps, demanda ce que signifiaient tous ces objets de couleur blanche qui se détachaient du fond brun de chaque érable.

— Ce sont, dit Jules, les coins que le sucrier[1] enfonce au-dessous des entailles qu’il fait aux érables pour recevoir la sève avec laquelle se fait le sucre.

— Ne dirait-on pas, répondit Arché, que ces troncs d’arbres sont d’immenses tubes hydrauliques avec leurs chantepleures prêtes à abreuver une ville populeuse ?

Cette remarque fut coupée court par les aboiements furieux d’un gros chien qui accourait à leur rencontre.

— Niger ! Niger ! lui cria Jules.

Le chien s’arrêta tout à coup à cette voix amie ; reprit sa course, flaira son maître pour bien s’assurer de son identité ; et reçut ses caresses avec ce hurlement moitié joyeux, moitié plaintif, que fait entendre au défaut de la parole ce fidèle et affectueux animal pour exprimer ce qu’il ressent d’amour.

— Ah ! pauvre Niger ! dit Jules, je comprends moi

  1. On appelle ainsi en Canada ceux qui fabriquent le sucre