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LES ANCIENS CANADIENS.

vement triste, était d’une mélancolie empreinte de compassion. Il portait une longue robe bleue nouée avec une ceinture. Larouche disait n’avoir jamais rien vu de si beau que cet étranger : que la plus belle créature était laide en comparaison.

— Que la paix soit avec vous, mon frère, lui dit le voyageur.

— Je vous remercie toujours de votre souhait, reprit Davi ; une bonne parole n’écorche pas la bouche ; mais c’est pourtant ce qui presse le moins. Je suis en paix, Dieu merci, avec toute le monde ; j’ai une excellente femme, de bons enfants, je fais un ménage d’ange, tous mes voisins m’aiment : je n’ai donc rien à désirer de ce côté-là.

— Je vous félicite, dit le voyageur. Votre voiture est bien chargée ; où allez-vous si matin ?

— C’est ma dîme que je porte à mon curé.

— Il paraît alors, reprit l’étranger, que vous avez eu une bonne récolte, ne payant qu’un seul minot de dîme par vingt-six minots que vous récoltez.

— Assez bonne, j’en conviens ; mais si j’avais eu du temps à souhait et à ma guise, ça aurait été bien autre chose.

— Vous croyez ? dit le voyageur.

— Si j’y crois ! il n’y a pas de doute, répliqua Davi.

— Eh bien, dit l’étranger, vous aurez maintenant le temps que vous souhaiterez ; et grand bien vous fasse !

Après avoir parlé, il disparut au pied d’un petit coteau.

— C’est drôle, tout de même, pensait Davi. Je savais bien qu’il y avait des mauvaises gens qui couraient le monde en jetant des ressorts (sorts) sur les hommes,