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UN SOUPER CHEZ UN SEIGNEUR CANADIEN.

fallait y appuyer le genou pour le fermer ; et dans ce coffre cinquante beaux francs (m).

— J’en eus donc compassion, dit-elle un soir qu’il veillait chez nous, tout honteux dans un coin, sans oser m’accoster ; je sais bien que tu m’aimes, grand bêta ; parle à mon père qui t’attend dans le cabinet et mets les bans à l’église. Là-dessus, comme il était rouge comme un coq d’inde, sans bouger pourtant, je le poussai par les épaules dans le cabinet. Mon père ouvre une armoire, tire le flacon d’eau-de-vie pour l’enhardir ; eh bien ! malgré toutes ces avances, il lui fallut trois coups dans le corps pour lui délier la langue.

Si donc, continua José, que la Thèque dit à son mari : où vas-tu, mon homme, que tu es si faraud ? vas-tu voir les filles ? prends garde à toi : si tu fais des averdingles (fredaines) je te repasserai en saindoux.

— Tu sais ben que non, fit Larouche en lui ceinturant les reins d’un petit coup de fouet par façon de risée ; nous voici à la fin de mars, mon grain est tout battu, je m’en vais porter ma dîme au curé.

— Tu fais bien, mon homme, que lui dit sa femme qui était une bonne chrétienne, il faut rendre au bon Dieu ce qui nous vient de lui.

Larouche charge donc ses poches sur son traîneau, jette un charbon sur sa pipe, saute sur la charge et s’en va tout joyeux.

Comme il passait un petit bois, il fit rencontre d’un voyageur qui sortait par un sentier de traverse. Cet étranger était un grand bel homme d’une trentaine d’années. Une longue chevelure blonde lui flottait sur les épaules ; ses beaux yeux bleus avaient une douceur angélique et toute sa figure, sans être positi-