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FRANTZ, un peu ému.

Je sais que tu es une bonne fille… et… mais, sois tranquille… si ça arrivait… je ne t’abandonnerais pas.

GRITTLY, avec ironie.

Vraiment !

FRANTZ.

Oh ! non… je te ferais un sort… tu viendrais dans ma maison… dans mon château… et tu ne manquerais de rien… tu serais logée, nourrie, blanchie, chaussée…

GRITTLY.

Vraiment !… Et qu’est-ce que j’aurais à faire pour tout cela ?

FRANTZ.

Ce que tu voudrais… tu soignerais le linge… tu bercerais les petits…

GRITTLY.

Je rincerais la vaisselle, n’est-ce pas ?

FRANTZ.

Si ça t’amusait.

GRITTLY, amèrement.

Merci, mon beau Monsieur. (Elle fait la révérence.) Je suis bien votre servante, (Se redressant fièrement.) Mais votre domestique, nenni-da ! (Elle prend son paquet et les débris de sa guitare.)

FRANTZ, interdit.

Ah !… Et où vas-tu donc ?

GRITTLY.

Rejoindre ma sœur.

FRANTZ.

Toute seule ?

GRITTLY.

Faut bien…

FRANTZ.

Mais puisque je t’offre une place dans ma carriole.

GRITTLY.

Et dans votre cuisine ?

FRANTZ, avec colère.

Ah ! tu es trop fière, aussi, à la fin !

GRITTLY.

Mieux vaut être fière, que vaniteux… mauvais cœur.

FRANTZ, en colère.

Grittly !

GRITTLY, montrant la guitare brisée.

Et ingrat… adieu ! (Elle s’éloigne. En ce moment Berthold paraît et l’arrête.)


Scène VI.

Les mêmes, BERTHOLD.
BERTHOLD, ramenant Grittly.

Eh bien ! eh bien !… où allez-vous donc la belle enfant ?

GRITTLY.

Laissez-moi !

BERTHOLD.

Qu’y a-t-il donc ? une querelle ? une brouille ?

FRANTZ.

C’est elle qui me méprise parce que je suis riche.

GRITTLY, en même temps.

C’est lui qui me méprise parce que je suis pauvre.

BERTHOLD.

Un moment… chacun à son tour.

FRANTZ.

Je vous prends pour juge… père clop… colporteur. Voyez si ça a du bon sens… elle veut partir toute seule. (À Grittly.) Et si tu fais de mauvaises rencontres, petite malheureuse obstinée que tu es !

GRITTLY.

Je trouverai toujours bien quelqu’un pour me protéger.

FRANTZ.

Justement !… c’est ça que je ne veux pas. (Il lui arrache son paquet.)

BERTHOLD.

Il a raison… venez avec nous.

FRANTZ.

Eh ! oui… partons ensemble… c’est ce que je me tue de lui dire… (Avec importance.) Faites avancer la voiture…

BERTHOLD.

Quant à ça, minute… Une voiture… un cheval, ça coûte gros… et le maquignon demande des sûretés.

FRANTZ.

Eh ben ? est-ce que je n’ai pas mon numéro ? mon soixante-six ?…

BERTHOLD.

C’est juste… donnez-le-moi, je vais le lui montrer.

FRANTZ, cherchant dans ses poches.

Mon cher numéro !… c’est que c’est de l’or en barre ça… (Avec inquiétude.) Eh bien ! eh bien ! où est-il donc ? j’ai tant de poches…

GRITTLY.

Je voudrais le voir perdu, ce maudit carré de papier.

FRANTZ, avec effroi.

Ne dis pas cela, Grittly… (Il prend son mouchoir pour s’essuyer le front et y retrouve son billet qu’il avait noué dans un des coins ; avec joie.) Ah ! ah ! le voilà ! (Il le baise et le donne à Berthold.) Mon bienheureux soixante-six !… (À Grittly.) T’étais déjà contente, toi !…

BERTHOLD, après l’avoir regardé.

Tiens !…

FRANTZ.

Quoi donc ?

BERTHOLD

Comment !… c’est là… vous en avez un autre ?…

FRANTZ.

Non…

BERTHOLD.

Cherchez bien…

FRANTZ.

Mais non… que je vous dis…

BERTHOLD.

Ah ! pauvre garçon !

FRANTZ.

C’est bien ça… Les deux ronds… avec les deux… 66 enfin.

BERTHOLD.

Oui… comme ça… mais (Il retourne le billet.) comme ça… 99

FRANTZ, avec un commencement d’inquiétude, mais sans comprendre encore.

Mais pourquoi que vous le tournez comme ça ?

BERTHOLD.

Parce qu’il y a le point.

FRANTZ.

Le point ?

BERTHOLD.

Oui, là… (Il indique avec le doigt.)

FRANTZ.

Où donc ?

BERTHOLD.

Ce petit chose noir… à droite des deux chiffres.

FRANTZ.

Eh bien ! qu’est-ce que c’est que ça ? c’est un pâté !…

BERTHOLD.

Ça indique comment le numéro doit être tenu. (Il le lui présente.)

FRANTZ.

Eh bien ! comme ça… ça fait 99 ?

BERTHOLD.

Oui.

FRANTZ, le retournant.

Mais comme ça…

BERTHOLD, le retournant.

Mais c’est comme ça qu’il faut le regarder…

FRANTZ, tremblant.

Mais, alors, ce n’est donc pas le 66 ?…

BERTHOLD.

Non…

FRANTZ.

Mais alors je n’ai donc pas gagné ?

BERTHOLD.

Non.

FRANTZ.

Mais, alors… les cent mille…

BERTHOLD.

Flambés !

FRANTZ, avec explosion.

Mais alors, je suis ruiné !

BERTHOLD.

Ça me fait cet effet-là !

FRANTZ.

Mais alors, pourquoi que vous m’avez dit ?

BERTHOLD.

Ce n’est pas moi.

FRANTZ.

C’est vous.

BERTHOLD.

C’est toi.

FRANTZ, avec désespoir.

Ah ! Jésus mein gott… Der teufel !… sapperment !…

GRITTLY.

Pauvre garçon !

TRIO.
FRANTZ.
––––––Ô ciel ! ô ciel ! est-il possible !