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FRANTZ.

C’est vrai… entre z’amis… Dès que j’aurai touché mon lot, je vous rendrai ça,

BERTHOLD.

Eh bien, venez…

FRANTZ.

Je vous suis… (Allant au fond et appelant.) Grittly je vas donner un coup de pied jusqu’à la ville… Attends-moi ici… près de la fontaine… dans cinq minutes je serai de retour. (À Berthold.) Allons, père… chose… dépêchons-nous… il me tarde de me voir… et de la voir… me voir. (Criant.) Dans cinq minutes, Grittly. (Il sort par la gauche avec Berthold ; ils reprennent ensemble le refrain de l’air :)

–––––––––À moi
–––––––––À lui
l’opulence, etc.

Scène IV.

GRITTLY, portant sa guitare brisée.

Brisée !… ma pauvre guitare !… Ah ! Frantz !… on a bien raison de dire que la richesse vous change le cœur. (Regardant sa guitare.)

ROMANCE.
––––––C’était la compagne fidèle
––––––Des bons comme des mauvais jours :
––––––Je me trouvais riche avec elle,
––––––C’était ma joie et mes amours !
––––––Sa voix répondait à la mienne,
––––––Mes secrets, d’elle, étaient connus ;
––––––Je lui disais plaisirs et peine…
––––––Mais je ne les lui dirai plus !…
––––––Le matin, à l’aube naissante,
––––––Quand Frantz pour m’éveiller chantait,
––––––Mélodieuse et complaisante,
––––––Ma guitare lui répondait…
––––––C’est lui, l’ingrat, qui l’a brisée,
––––––Maintenant, regrets superflus !…
––––––S’il chante encore sous ma croisée,
––––––Moi, je ne lui répondrai plus !…

Scène V.

GRITTLY, FRANTZ.

(Frantz est vêtu et coiffé avec une grotesque élégance. — Habit à boutons d’or. — gilet d’étoffe très-voyante, grand col de chemise, stick, lorgnon ; son mouchoir de soie sort à demi de sa poche. — Il a conservé la culotte et la chaussure de son costume tyrolien.)

FRANTZ.

Je m’en suis flanqué pour une bonne somme, mais, ma foi, tant pis !… je crois que je suis au grand complet. (Apercevant Grittly qui s’est assise rêveuse avec sa guitare brisée sur les genoux.) La v’là… voyons voir si elle me reconnaîtra et prenons des manières… (Il s’avance en se donnant des grâces.) Tu tu tu tu tu…

GRITTLY, levant la tête.

Ah ! un étranger.

FRANTZ, la lorgnant.

Bonjour, petite.

GRITTLY, faisant la révérence.

Votre servante, mon beau Monsieur…

FRANTZ, à part.

Mon beau Monsieur !.. J’étais sûr qu’elle ne me reconnaîtrait pas… (Il lui fait de petits saluts saccadés auxquels elle répond par des révérences. Ce jeu continue jusqu’à ce que Frantz s’arrête fatigué.) Sapperment !… c’est fatigant ! (Haut.) Eh bien !… tu ne me reconnais pas.

GRITTLY.

Frantz !

FRANTZ.

Eh ! oui !… (Tournant devant elle.) Regarde… régale-toi… pas vrai que je suis fameusement changé… à mon avantage ? (Il tire son foulard et se mouche avec bruit.)

GRITTLY.

Dame ! s’il faut parler franchement, je t’aimais mieux avec tes autres z’hardes.

FRANTZ.

Allons donc… tu ne t’y connais pas ! Tiens, pas plus tard que tout à l’heure, je passais là-bas, près des lavandières ; il y en a eu une qu’a dit : V’là un joli jeune homme !… — Il est frais, qu’a dit l’autre… Puis tout près d’ici, devant la grille de ce grand parc, je me suis trouvé face à face avec une belle demoiselle qu’a poussé un cri en me voyant, un cri d’admiration bien sûr… (Cherchant à imiter le cri.) Ah !… et qui s’est sauvée en riant… mais en riant… Tu vois bien que je fais de l’effet sur tout le monde… Il n’y a que sur toi… On dirait que t’es jalouse de ma belle toilette.

GRITTLY.

Moi ?

FRANTZ.

Mais, tu n’as qu’à parier… je t’en donnerai d’aussi superbes, et tant que tu voudras…

GRITTLY.

Non, merci Frantz, je resterai comme je suis.

FRANTZ.

En voilà une idée !… Mais ça va jurer, ma fille.

GRITTLY.

Tant pis !

FRANTZ.

Voyons, sois donc raisonnable, Grittly… Je ne puis pourtant pas, moi, homme qu’a de quoi… moi, homme très-bien couvert, m’en aller en compagnie d’une simple villageoise vêtue en paysanne de la campagne.

GRITTLY.

Oui, ça pourrait te faire tort auprès des madames de la ville.

FRANTZ.

Je ne dis pas ça…

GRITTLY.

Mais tu le penses… t’as peur que je ne te fasse honte auprès de cette belle demoiselle qui ne t’a si bien regardé que pour se moquer de toi.

FRANTZ.

Se moquer de moi !… et pourquoi donc, s’il vous plaît ?

GRITTLY.

Parce que tu es cocasse… puisqu’il faut dire le mot.

FRANTZ, indigné.

Cocasse !…

COUPLETS.
––––––Cocasse, moi !… cocass’, cocasse !…
––––––Heureusement de cet avis
––––––Vous êtes seul’ !… cocass’, cocasse !…
––––––Un garçon bien fait et bien mis !…
––––––––––Cocass’cocasse !…
––––––Avec cet air et ce maintien
––––––Allez, vous n’y connaissez rien
––––––Un homme rich’, sachez le bien,
––––––Quoiqu’il dise ou bien quoiqu’il fasse
––––––Jamais ne peut-être cocasse !…
GRITTLY.
DEUXIÈME COUPLET.
––––––Cocasse, oui… cocass’, cocasse !
––––––Dans cet habit si frais, si beau,
––––––––––Cocass’ cocasse !…
––––––Avec tes façons d’damoiseau
––––––––––Cocass’, cocasse…
––––––Je le soutiens, c’est mon avis,
––––––Malgré qu’il soit riche et bien mis
––––––Un balourd qui fait le marquis
––––––Quoiqu’il dise ou bien quoiqu’il fasse
––––––Parait cocass’ toujours cocasse !…
FRANTZ, haussant les épaules.

Cocasse ! cocasse ! un homme qui se mouche dans de la soie !… heureusement tout le monde n’est pas de votre avis, ma chère. (Il arrange son col de chemise, ses cheveux et se mouche.) Demandez plutôt à ce brave homme de tout à l’heure qui m’a annoncé ma fortune.

GRITTLY, haussant les épaules.

Oui, il a fait là un beau chef-d’œuvre.

FRANTZD

Avec votre bonne mine et vos écus, qu’il m’a dit, si vous vouliez prendre femme, qu’il m’a dit, vous pourriez choisir parmi les bourgeoises les plus cossues et les plus z’huppées, qu’il m’a dit.

GRITTLY.

Choisissez, monsieur Frantz, ce n’est pas moi qui vous en empêcherai…

FRANTZ.

Tiens, je le sais bien… ce n’est ni toi, ni personne…

GRITTLY.

Le fait est qu’à présent vous pouvez trouver un bon parti.

FRANTZ.

Ainsi, tu me le conseilles ?

GRITTLY.

Vous en êtes bien le maître…

FRANTZ.

Et ça ne te fera pas de peine ?

GRITTLY, avec effort.

Moi… bien du contraire… ça me fera plaisir.