Page:De Forges, de Leuven, Roch - L'alcôve.pdf/6

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans ma chambre les cheveux épars, les traits renversés, les pieds nuds, le corps à demi vêtu d’un manteau en désordre. Tout ce que je pus remarquer, c’est que c’était celui d’un homme. Mon alcôve était ouverte ; elle s’y précipita, en retira la porte sur elle en me criant : sauvez-moi! » — Un frisson me saisit, me glaça tous les membres. Je ne comprenais ni le danger de Thérèse, ni ma position avec elle au milieu de cette nuit de terreur dont un orage affreux augmentait encore les épouvantes. La grèle bondissait sur mes vîtres, ou s’assourdis sait sur leurs plombs ; la foudre grondait avec un bruit capable de réveiller les morts  ; des éclairs si multipliés qu’on en distinguait à peine les intervalles, jetaient sur tous les objets extérieurs une espèce de transparent enflammé. Ma première pensée fut que la maison du père Christ venait d’être incendiée par le tonnerre. Tout cela dura si peu que je n’eus pas le temps de former une autre conjecture. Ma porte se r’ouvrit. Cette fois-là, je n’en avais pas tourné la clé. C’étaient six hommes armés de fourches et de vieilles lames de sabres, qui m’entourèrent presque avant que je les eusse aperçus. – « Où est le feu ? » m’écriai-je. — « Où est l’émigré ? » répliquèrent ils. Je devinai.

Le chef de ces perquisiteurs intrépides m’était, de fortune, fort particulièrement connu. C’était un ancien militaire, nommé Jean Leblanc, qui cumulait depuis quelques années les importantes fonctions de garde de nuit, de crieur public, de sergent de la garde nationale, et qui y réunissait l’avantage d’être le maître Jacques du père Christ et le factotum de la mairie. Comme les honneurs appellent les honneurs, il m’avait servi de piqueur ou de surveillant des pionniers dans le petit nombre d’opérations locales que je m’étais réservé, et j’exerçais sur lui cette espèce d’ascendant que le peuple accorde volontiers à un certain vernis d’instruction qui n’est pas trop gâté par une sotte suffisance.

« Que diable viens-tu me conter d’émigrés, lui dis-je, où