— Je ne suis pas mignonne, dit Nele, & je ne pleure pas !
— Non, tu ne pleures pas, mais il sort cependant de l’eau de tes yeux.
— Veux-tu t’en aller ? dit-elle.
— Non, dit-il.
Cependant elle tenait son tablier de ses petites mains tremblantes, & elle en tirait l’étoffe par saccades & des larmes coulaient deſſus, le mouillant.
— Nele, demanda Ulenſpiegel, fera-t-il beau tantôt ?
Et il la regardait souriant bien amoureuſement.
— Pourquoi me demandes-tu cela ? dit-elle.
— Parce que, quand il fait beau, il ne pleure pas, répondit Ulenſpiegel.
— Va-t’en, dit-elle, près de ta belle dame à la robe de brocart ; tu l’as fait aſſez rire celle-là.
Ulenſpiegel alors chanta :
Quand je vois pleurer m’amie,
Mon cœur eſt déchiré.
C’eſt miel quand elle rit,
Perle quand elle pleure.
Moi, je l’aime à toute heure.
Et je nous paie à boire
Du bon vin de Louvain.
Et je nous paie à boire
Quand Nele sourira.
— Vilain homme, dit-elle, tu te gauſſes encore de moi.
— Nele, dit Ulenſpiegel, je suis homme mais point vilain, car notre noble famille, famille échevinale, porte de trois pintes d’argent sur fond de bruinbier. Nele, eſt-il vrai qu’au pays de Flandre quand on sème des baiſers, on récolte des soufflets ?
— Je ne veux point te parler, dit-elle.
— Alors pourquoi ouvres-tu la bouche pour me le dire ?
— Je suis fâchée, dit-elle.
Ulenſpiegel lui bailla bien légèrement un coup de poing dans le dos & dit :
— Baiſez vilaine, elle vous poindra ; poignez vilaine, elle vous oindra. Oins-moi donc, mignonne, puiſque je t’ai poignée.
Nele se retourna. Il ouvrit les bras, elle s’y jeta pleurante encore & dit :
— Tu n’iras plus là-bas, n’eſt-ce pas, Thyl ?