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diſant que ce m’eſt tout un si elles veulent garder leurs amis qui vinrent avec elles sur le navire, ou faire élection de quelque brave Gueux ici préſent pour leur tenir matrimoniale compagnie. »

Mais toutes les gentes commères furent fidèles à leurs amis, sauf une toutefois, laquelle souriant & regardant Lamme, lui demanda s’il voulait d’elle :

— Grâces vous soient rendues, mignonne, dit-il, mais je suis d’ailleurs empêché.

— Il eſt marié, le bonhomme, dirent les Gueux voyant la commère dépitée.

Mais elle, lui tournant le dos, en choiſit un autre ayant, comme Lamme, bonne bedaine & bonne trogne.

Il y eut ce jour-là & les suivants à bord des navires grandes noces & feſtins de vins, de volailles & de viande. Et Ulenſpiegel dit :

— Vive le Gueux ! Soufflez, aigre biſe, nous réchaufferons l’air de votre haleine. Notre cœur eſt de feu pour la libre conſcience ; de feu notre eſtomac pour les viandes de l’ennemi. Buvons le vin, le lait des mâles. Vive le Gueux !

Nele buvait auſſi dans un grand hanap d’or, & rouge au souffle du vent, faiſait glapir le fifre. Et nonobſtant le froid, les Gueux mangeaient & buvaient joyeuſement sur le pont.


XVIII


Soudain toute la flotte vit sur le rivage un noir troupeau parmi lequel brillaient des torches & reluiſaient des armes ; puis les torches furent éteintes, & une grande obſcurité régna.

Les ordres de l’amiral tranſmis, le signal d’alerte fut donné sur les vaiſſeaux : & tous les feux s’éteignirent ; matelots & soudards se couchèrent à plat ventre, armés de haches, sur les ponts. Les canonniers vaillants, tenant leur lance, veillaient auprès des canons chargés de sacs à balles & de boulets à chaînes. Auſſitôt que l’amiral & les capitaines crieraient : « Cent pas ! » — ce qui indiquerait la poſition de l’ennemi, — ils devaient