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— Je ne l’oſerais, mon ami, diſait le pleurard ; c’eſt toi plutôt qui me tires par la barbe.

Le furieux répondit :

— Je ne chaſſe point à la vermine dans le poil des ladres.

— Monſieur, dit le pleurard, ne faites pas sauter la ruche si fort mes pauvres bras n’y tiennent plus.

— Je vais les détacher tout à fait, répondit le furieux.

Puis se débarraſſant de son cuir, il dépoſa la ruche à terre, & sauta sur son compagnon. Et ils s’entre-battirent, l’un blaſphémant, l’autre criant miſéricorde.

Ulenſpiegel, entendant les coups pleuvoir, sortit de la ruche, la traîna avec lui juſqu’au prochain bois pour l’y retrouver, & retourna chez Claes.

Et c’eſt ainſi que dans les querelles les sournois ont leur profit.


XX


À quinze ans, Ulenſpiegel éleva à Damme, sur quatre pieux une petite tente, & il cria que chacun y pourrait voir déſormais repréſenté, dans un beau cadre de foin, son être préſent & futur.

Quand survenait un homme de loi bien morguant & enflé de son importance, Ulenſpiegel paſſait la tête hors du cadre, & contrefaiſant le muſeau de quelque singe antique, diſait :

— Vieux mufle peut pourrir, mais fleurir, non ; ne suis-je point bien votre miroir, monſieur de la trogne doctorale ?

S’il avait pour chaland un robuſte soudard, Ulenſpiegel se cachait & montrait, au lieu de son viſage, au milieu du cadre, une groſſe platelée de viande & de pain, & diſait :

— La bataille fera de toi potage ; que me bailles-tu pour ma pronoſtication, ô soudard chéri des sacres à la groſſe gueule ?

Quand un vieil homme, portant sans gloire sa tête chenue, amenait à Ulenſpiegel sa femme, jeune commère, celui-ci se cachant, comme il avait fait pour le soudard, montrait dans le cadre un petit arbuſte, aux branches duquel étaient accrochés des manches de couteau, des coffrets, des peignes, des écritoires, le tout en corne, & s’écriait :