Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qu’un tigre. Chaque fois qu’il paſſait dans la rue avec son saint-sacrement où était son hoſtie faite de graiſſe de chien, il regardait avec des yeux pleins de fureur les maiſons d’où les femmes ne sortaient point pour s’agenouiller, & dénonçait au juge tous ceux qui ne ployaient pas le genou devant son idole de pâte & de cuivre doré. Les autres moines l’imitaient. Cela fut cauſe de pluſieurs grandes miſères brûlements & cruelles punitions en la ville de Gorcum. Le capitaine Marin fait bien de garder priſonniers les moines qui, sinon s’en iraient avec leurs pareils, dans les villages, bourgs, villes & villettes, prêcher contre nous, ameutant le populaire & faiſant brûler les pauvres réformés. On met les dogues à la chaîne juſqu’à leur crevaille ; à la chaîne les moines, à la chaîne, les bloed-honden, les chiens de sang du duc, en cage les bourreaux. Vive le Gueux !

— Mais, dit Ulenſpiegel, monſeigneur d’Orange, notre prince de liberté, veut qu’on reſpecte, parmi ceux qui se rendent, les biens des perſonnes & la libre conſcience.

Les vieux Gueux répondirent :

— L’amiral ne le veut point pour les moines : il eſt maître : il prit la Briele. En cage les moines !

— Parole de soldat, parole d’or ! pourquoi y manque-t-il ? répondit Ulenſpiegel. Les moines retenus en priſon y souffrent mille avanies.

— Les cendres ne battent plus sur ton cœur, dirent-ils : cent mille familles, par suite des édits, ont porté là-bas, au Noord-Weſt, au pays d’Angleterre, les métiers, l’induſtrie, la richeſſe de nos pays ; plains donc ceux qui cauſèrent notre ruine ! Depuis l’empereur Charles Ve, Bourreau 1er , sous celui-ci, roi de sang. Bourreau IIe, cent dix-huit mille perſonnes périrent dans les supplices. Qui porta le cierge des funérailles dans le meurtre & dans les larmes ? Des moines & des soudards eſpagnols. N’entends-tu point les âmes des morts qui se plaignent ?

— Les cendres battent sur mon cœur, dit Ulenſpiegel. Parole de soldat, c’eſt parole d’or.

— Qui donc, dirent-ils, voulut par l’excommunication mettre le pays au ban des nations ? Qui eût armé, s’il l’eût pu, contre nous terre & ciel, Dieu & diable, & leurs bandes serrées de saints & de saintes ? Qui enſanglanta de sang de bœuf les hoſties, qui fit pleurer les statues de bois ? Qui fit chanter le De Profundis sur la terre des pères, sinon ce clergé maudit, ces hordes de moines fainéants, pour garder leur richeſſe, leur influence sur les adorateurs d’idoles, & régner par la ruine, le sang & le feu sur le