Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/469

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

placée devant un grand feu ; Nele lui ôta ses habits & son linge mouillés pour lui en donner d’autres ; quand elle revint à elle, elle dit, tremblant & claquant des dents : — Hans, donne-moi un manteau de laine.

Et Katheline ne put se réchauffer. Et elle mourut le troiſième jour. Et elle fut enterrée dans le jardin de l’égliſe.

Et Nele, orpheline, s’en fut au pays de Hollande, auprès de Roſa van Auweghem.


VII


Sur les houlques de Zélande, sur les boyers, crouſtèves, s’en va Thyl Claes Ulenſpiegel.

La mer libre porte les vaillants flibots sur leſquels sont huit, dix ou vingt pièces toutes en fer : elles vomiſſent mort & maſſacre sur les traîtres Eſpagnols.

Il eſt expert canonnier, Thyl Ulenſpiegel, fils de Claes : il faut voir comme il pointe juſte, viſe bien & troue comme un mur de beurre les carcaſſes des bourreaux.

Il porte au feutre le croiſſant d’argent, avec cette inſcription : Liever den Turc als den Paus. Plutôt servir le turc que le pape.

Les matelots qui le voient monter sur leurs navires, leſte comme un chat, subtil comme un écureuil, chantant quelque chanſon, diſant quelque joyeux propos, l’interrogeaient curieux :

— D’où vient-il, petit homme, que tu aies l’air si jeunet, car on dit qu’il y a longtemps que tu es né à Damme ?

— Je ne suis point corps, mais eſprit, dit-il, & Nele, m’amie, me reſſemble. Eſprit de Flandre, Amour de Flandre, nous ne mourrons point.

— Toutefois, dirent-ils, quand on te coupe tu saignes.

— Vous n’en voyez que l’apparence, répondit Ulenſpiegel ; c’eſt du vin & non du sang.

— Nous te mettrons une broche au ventre.

— Je serais seul à me vider, répondit Ulenſpiegel.

— Tu te gauſſes de nous.