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Le soir, sa mère fut inquiète de ne la voir point revenir : songeant toutefois qu’elle avait dormi chez son oncle, elle se raſſura.

Le lendemain, des pêcheurs, revenus de la mer avec un bateau de poiſſon, tirèrent leur bateau sur la plage & déchargèrent leur poiſſon dans des chariots, pour le vendre à l’enchère, par chariot, à la minque de Heyſt. Ils montèrent le chemin semé de coquillage & trouvèrent, dans la dune, une fillette dépouillée toute nue, voire de la chemiſe, & du sang autour d’elle. S’approchant, ils virent, à son pauvre cou briſé, des marques de dents longues & aiguës. Couchée sur le dos, elle avait les yeux ouverts, regardant le ciel, & la bouche ouverte pareillement comme pour crier la mort !

Couvrant le corps de la fillette d’un opperſt-kleed, ils le portèrent juſques Heyſt, à la Maiſon commune. Là bientôt s’aſſemblèrent les échevins & le chirurgien-barbier, lequel déclara que ces longues dents n’étaient point dents de loup telles que les fait Nature, mais de quelque méchant & infernal, weer-wolf, loup-garou, & qu’il fallait prier Dieu de délivrer la terre de Flandre.

Et dans tout le comté & notamment à Damme, Heyſt & Knokke furent ordonnées des prières & des oraiſons.

Et le populaire, gémiſſant, se tenait dans les égliſes.

En celle de Heyſt, où était le corps de la fillette, expoſé, hommes & femmes pleuraient voyant son cou saignant & déchiré. Et la mère dit en l’égliſe même :

— Je veux aller au weer-wolf, & le tuer avec les dents.

Et les femmes, pleurant, l’excitaient à ce faire. Et d’aucunes diſaient :

— Tu ne reviendras point.

Et elle s’en fut, avec son homme & ses deux frères bien armés, chercher le loup par plage, dune & vallée, mais ne le trouva point. Et son homme la dut ramener au logis, car elle avait pris les fièvres à cauſe du froid nocturne ; & ils veillèrent près d’elle, remmaillant les filets pour la pêche prochaine.

Le bailli de Damme, conſidérant que le weer-wolf eſt un animal vivant de sang & ne dépouille point les morts, dit que celui-ci était sans doute suivi de larrons vaguant par les dunes, pour leur méchant profit. Donc il manda par son de cloche, à tous & un chacun, de courir sus bien armés & embâtonnés à tous mendiants & bélîtres, de les appréhender au corps & de les viſiter pour voir s’ils n’avaient pas en leurs gibecières des carolus d’or ou quelque pièce des vêtements des victimes. Et après, les mendiants &